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Errements de la gauche identitaire - Lettre politique #78
Funeste séquence pour la gauche. Depuis dix jours, elle est sur la défensive, voyant déferler sur elle le tsunami d’une campagne de droite et d’extrême-droite savamment orchestrée, de Blanquer à Le Pen, de Bruckner à Schiappa, de Darmanin à Zemmour, qui vise à lui accrocher le grelot infâmant du « racialisme », antichambre du racisme pur et simple.
Tout cela à cause d’un phénomène secondaire, deux ou trois réunions « non-mixtes » organisées par l’UNEF, petit syndicat minoritaire et déclinant qui n’a plus grand chose à voir avec la grande organisation étudiante et progressiste de naguère et qui s’ingénie à donner des verges pour se faire battre. Signe des temps : hier encore, Éric Zemmour, condamné en justice pour ses propos xénophobes, donne des leçons d’antiracisme à la gauche en une du Figaro…
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Les socialistes, les intellectuels universalistes et quelques autres ont bien tenté de redresser la barre. Rien n’y a fait, les philippiques de la gauche radicale, la maladresse de certains anciens de l’UNEF, ont laissé penser qu’une grande partie de la gauche soutenait ces réunions incongrues alors que, selon toutes probabilités, l’immense majorité des électeurs de gauche les condamnent.
La leçon est cuisante : la peste identitaire, qui veut assigner chacun à ses origines ou à la couleur de sa peau et qui infeste le côté droit de l’échiquier depuis la montée en puissance des populistes nationalistes, se diffuse à la gauche d’une gauche qui doit maintenant se défendre de toute imprégnation raciste.
L’incident originel, ces « réunions non-mixtes » très marginales, a une filiation plus large : les « études décoloniales » ou « intersectionnelles » qui se répandent dans certains secteurs de l’université française. Elles ont leur légitimité académique : il est utile de passer au crible les visions trop occidentales de l’histoire ou de la philosophie, de débusquer les clichés raciaux qui sous-tendent certaines mentalités, de donner la parole aux peuples du sud et aux minorités présentes au nord, si longtemps soumises à une hégémonie culturelle illégitime. Mais en les traduisant en termes militants, sommaires et agressifs, ses sectateurs en viennent à remplacer le social par l’ethnique, la lutte des classes par la lutte des races, le socialisme par le racialisme, à instaurer à travers la « cancel culture » des limitations absurdes de la liberté d’expression, à remplacer la lutte collective par la dénonciation nominale de tel ou tel « coupable » qu’on livre à la vindicte militante. C’est-à-dire à adopter, peu ou prou, les catégories de pensée de l’adversaire xénophobe.
Avec cette interrogation sur le but final. S’agit-il d’obtenir l’égalité ? Auquel cas on resterait dans l’universalisme qu’on dit vouloir « déconstruire » par ailleurs. Ou bien s’enfermer dans une rhétorique essentialiste de revanche raciale, qui ne mène nulle part, sinon à creuser encore les fossés qui séparent les citoyens d’une même nation. Ce qui conduit à abandonner à la droite le discours républicain, la laïcité et la défense de la liberté de création. Une bonne manière de rester éternellement minoritaire.