États-Unis : la démocratie contre-attaque- Lettre politique #41

Laurent Joffrin | 14 Décembre 2020

Les blasés, les sceptiques, les désabusés y verront une information banale, simple confirmation d’un vote déjà acquis : les « grands électeurs » américains désignent aujourd’hui, officiellement, le prochain président des États-Unis, Joe Biden.

Mais les autres, tous ceux qui croient encore à la pertinence des institutions démocratiques, à la prédominance du droit sur la force et, comme Jaurès, au triomphe final de la vérité sur le mensonge, célébreront une grande victoire. Non celle des démocrates sur les républicains, chose fréquente dans l’histoire américaine. Mais celle d’une certaine rectitude contre les rodomontades propagandistes du national-populisme, que laissait déjà présager le double rejet par la Cour suprême des requêtes du concerné.

La vérité électorale, enfin, apparaît en pleine lumière : Donald Trump, en dépit de l’écran de contre-vérités qu’il a tenté de déployer, a bien été battu par son rival, sans appel, sans bavures, sans contestation possible. Joe Biden remporte 306 grands électeurs, contre 232 pour le président sortant. Il a reçu le suffrage de 81,28 millions d’électeurs, un record historique, contre 74,22 en faveur de Trump. En pourcentage, il bat son adversaire avec une majorité de 51,3 % contre 46,8% (le reste allant à des petits candidats). Rappelons que Trump avait qualifié son élection de 2016 de « raz-de-marée », alors qu’il avait une avance moindre en délégués et qu’il était minoritaire en voix contre Hillary Clinton. A l’aune de ce critère, l’élection de Biden passe du raz-de-marée à la tornade.

C’est la honteuse et pitoyable campagne de Trump contre le scrutin qui a brouillé sa perception. Anticipant sa défaite, le redoutable clown de la Maison-Blanche avait dénoncé par avance les « tricheries » qui ne manqueraient pas, selon lui, d’émailler le vote. Le 4 novembre, voyant Biden majoritaire, à son grand dam, il a redoublé sa campagne de mensonges pour tenter une manœuvre désespérée : contester le scrutin devant les tribunaux pour en renverser le résultat. Son avocat Rudy Giuliani, autre farceur professionnel, a enclenché toutes sortes de procédures pour invalider le scrutin dans les États décisifs. Mais la démocratie américaine a tenu bon. Un à un, les juges et les responsables électoraux, mis en demeure de se soumettre aux injonctions présidentielles, et quoique républicains eux aussi, ont refusé de cautionner cette pantalonnade. En termes mesurés, mais sans appel, ils ont renvoyé Trump à ses billevesées, tout comme les membres de l’administration qui ont déclaré le scrutin valide, avant d’être aussitôt limogés par le président. Jusqu’à ce que la Cour Suprême, pourtant affligée d’une majorité très conservatrice, siffle la fin de la partie en refusant de se saisir du dossier, pour la bonne raison qu’il était vide de toute preuve.

Le droit a donc prévalu, avec la vérité. Ce qui permet de tirer deux autres leçons de cette grotesque saga trumpiste. En premier lieu, le national-populisme est vulnérable. Trump avait déjà perdu les élections de mi-mandat, il était donné perdant par tous les sondages : l’élection a confirmé cette disgrâce dans l’opinion, malgré tous les artifices, tous les contes et toutes les tartarinades. Le trumpisme reste fort ? Certes. Mais il est nettement minoritaire.

Pour le battre – second enseignement – les démocrates ont eu l’intelligence, plutôt que de répondre à un extrémisme par un autre, de se regrouper derrière un candidat réformiste. Quoique plutôt chenu, manquant d’allant, d’une santé fragile, Joe Biden a fait un parcours sans faute. Il a joué la raison, la mesure et l’honnêteté. Il s’est adjoint une vice-présidente solide, centriste également, mais dont l’itinéraire et les origines donnent aux minorités l’espoir d’être entendues. Il n’a pas adopté toutes les demandes de l’active gauche du parti démocrate mais il a pris des positions nettes en faveur de la transition écologique et de la lutte contre les discriminations, ce qui tourne le dos à la politique de Trump.

C’est donc un cauchemar de quatre ans qui prend fin. Biden n’aura pas pour autant une présidence de rêve. La route sera longue et dure vers le redressement de la démocratie américaine. Au moins le peuple des États-Unis a-t-il choisi de s’y engager.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages