Increvable social-démocratie - Lettre politique #106

Laurent Joffrin | 14 Septembre 2021

Alors, toujours morte, la social-démocratie ? Voilà un cadavre qui bouge beaucoup, tout de même.

Dernière résurrection en date : celle du parti travailliste norvégien, qui vient de remporter haut la main des élections sous la conduite de son leader Jonas Gahr Stoere, avec une gauche écologique et socialiste nettement majoritaire. Ce Jonas a donc survécu à la baleine conservatrice, qui gouvernait le pays depuis huit ans.

Un petit pays perdu dans les brumes polaires ? Pas tout à fait : tous les pays scandinaves – Norvège, Suède, Danemark, Islande et Finlande –, renouant avec une ancienne tradition, sont désormais dirigés par des coalitions de gauche, tout comme la péninsule ibérique, Espagne et Portugal. On disait ces fiefs sociaux-démocrates pris de fièvre identitaire, droitisés sans rémission par les vagues migratoires : voilà qu’ils se soucient, d’abord, de questions sociales, éducatives et écologiques. La Norvège, dont la prospérité reposait sur le pétrole, se pose sérieusement la question de la sortie des énergies fossiles, débat qui a largement dominé la campagne électorale. Pays situé à la pointe nord de l’Europe, la Norvège est aussi à la pointe des enjeux du siècle.


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Exceptions européennes ? Là encore, les croquemorts qui préparaient l’enterrement de cette gauche-là se retrouvent désœuvrés. En Allemagne, où l’on prévoyait une reconduction des conservateurs ou, à défaut, une percée des écologistes, c’est le bon vieux SPD, à l’agonie historique, disait-on, qui est désormais favori des prochaines élections fédérales. Rien n’est joué, mais son leader, Olaf Scholz, domine ses rivaux et vient de sortir vainqueur d’un débat télévisé qu’on qualifiait de décisif. Là encore, les doctes commentateurs qui annonçaient le déclin irrémédiable du socialisme démocratique en Europe se retrouvent en piètre posture. Jamais à court de mauvaise foi, ces prophètes démentis ont trouvé une explication lumineuse : si Scholz est en passe de l’emporter… c’est qu’il est totalement dénué de charisme. Ainsi il suffirait d’être insipide pour gagner des électeurs. La vérité est moins tirée par les cheveux : chef de file d’un parti traditionnel, implanté dans les classes moyennes et populaires, Scholz a fait campagne sur le social, promettant aux salariés, aux défavorisés, une meilleure protection et un meilleur salaire. Et là aussi, comme en Norvège, il est apparu plus sérieux, plus crédible que les chefs de file écologistes, tout en défendant un solide programme de transition verte.

Point commun entre toutes ces forces progressistes en pleine renaissance : la pandémie a sonné le retour de l’action publique, du rôle de l’État, des valeurs de solidarité et de maîtrise collective de l’économie ; le débat subséquent a aussi mis en lumière les impasses du discours identitaire. Un peu comme aux États-Unis, en somme…

En France, les électeurs de gauche en tireront-ils la leçon ?  Dans tous ces pays, en tout cas, c’est l’émergence d’une candidature crédible, sociale et écologique, qui congédie la droite et l’extrême-droite.  

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages