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Infléchir le cadre de l’UE pour mener la stratégie francaise de transition énergétique
L’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fait de certains domaines de la politique de l’énergie une compétence partagée. Chaque État membre conserve toutefois son droit « de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » (article 194, paragraphe 2) » : le choix de son mix énergétique par chaque Etat membre reste donc de sa propre compétence [1]. Ainsi, la France reste libre de conforter son choix historique en faveur d’un mix énergétique à forte contribution électronucléaire, ce qui lui donne l’avantage en Europe d’avoir une électricité pratiquement non carbonée sur laquelle fonder notre stratégie de transition vers l’abandon des énergies fossiles.
Les objectifs de l’« union de l’énergie » présentés par la Commission européenne dans sa communication du 25 février 2015 comprennent prioritairement les actions suivantes :
- diversifier les sources d’énergie de l’Europe et garantir la sécurité énergétique grâce à la solidarité et à la coopération entre les pays de l’Union européenne ;
- assurer le fonctionnement d’un marché intérieur de l’énergie pleinement intégré, de façon à garantir la libre circulation de l’énergie dans l’Union grâce à des infrastructures adéquates et à l’élimination des obstacles techniques ou réglementaires ;
- améliorer l’efficacité énergétique et réduire la dépendance à l’égard des importations d’énergie, faire baisser les émissions et stimuler l’emploi et la croissance ;
- décarboner l’économie et se diriger vers une économie à faible intensité de carbone, conformément à l’accord de Paris ;
- promouvoir la recherche dans les technologies à faible intensité de carbone et dans les technologies énergétiques propres et donner la priorité à la recherche et à l’innovation pour stimuler la transition énergétique et améliorer la compétition.
La politique énergétique que nous souhaitons pour notre pays est pleinement en accord avec ces objectifs. Pourtant, au nom des principes de libre concurrence, la Commission conteste l’architecture du système électrique français. Elle entend interdire, non seulement les contrats de long terme avec des investisseurs, mais également les missions de service public orientant les choix des petits consommateurs dans leur transition énergétique décarbonée.
Fait nouveau cependant, dès sa prise de fonction, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé son Pacte Vert pour l’Europe[1]. Dans ce “Green Deal” la Commission[2] indique qu’elle veut faire de l’Union européenne (UE) « le premier bloc régional climatiquement neutre[3] » d’ici à 2050. L’objectif intermédiaire pour l’Europe d’une réduction des émissions de CO2 de – 40% à l’échéance de 2030, par rapport à 1995, année de référence, a été de surcroît remonté à -55% lors du sommet pour le climat organisé par Joe Biden, les 22 et 23 avril derniers.
Cela va dans le bon sens et conforte notre vision stratégique très ambitieuse. Mais, tant pour l’Europe que pour la France, il s’agit maintenant de se donner les moyens de limiter le plus rapidement possible nos consommations d’énergies fossiles et pour la Commission de concentrer son action sur cet objectif de long terme.
- Dénoncer la confiance idéologique dans le marché de court terme et favoriser les choix d’investissements en énergie non carbonée à moyen et long terme
La Commission a voulu imposer, il y a vingt ans, une libéralisation construite pour faire jouer la concurrence entre vendeurs d’énergie auprès des consommateurs, tant du marché de gros (les entreprises) que du marché de détail (les clients domestiques et les PME). Un rôle clé a été ainsi donné aux marchés de court terme de l’électricité et du gaz. L’objectif de la “concurrence libre et non faussée”, qui révélerait les bons prix et alignerait les décisions des producteurs privés sur l’intérêt des consommateurs, l’a emporté sur tous les autres objectifs en matière de politique énergétique au niveau européen. Or une application dogmatique et à courte vue de l’objectif concurrentiel n’est pas compatible avec une vision stratégique de moyen-long terme qui seule rend possible l’atteinte des objectifs mentionnés plus haut.
C’est ce que montre l’étude du fonctionnement du marché de gros de court terme. On sait que, à tout instant, la puissance produite doit être égale à la demande. Le plus économique est d’utiliser d’abord les moyens de production dont le coût variable est nul (comme la plupart des renouvelables) ou très faible (comme le nucléaire), puis d’empiler les autres par coût croissant de combustible. Le coût de la dernière centrale appelée fixe alors le prix de marché, qui sera le même pour tous les kWh produits. La théorie nous dit que, moyennant beaucoup de conditions, ce « signal prix » permet les bonnes décisions d’investissement : toute centrale verra ses coûts fixes de capital et d’exploitation exactement payés par la chronique des prix de marché.
Mais en électricité, comme dans toutes les industries de réseau à forte intensité capitalistique, la relation entre l’investissement, réalisé pour plusieurs dizaines d’années (de l’ordre de 40 ans en moyenne dans l’énergie), et la consommation tarifée au kWh consommé chaque heure n’est pas si simple …Car si la tarification au coût marginal permet de couvrir le coût (variable) de production de la dernière unité de consommation, elle ne tient pas compte des coûts fixes liés à l’infrastructure qui rend possible cette production. En outre, l’électricité a ceci de particulier qu’elle ne se stocke pas : le système doit donc pouvoir répondre à tout moment à une demande « instantanée » d’électricité par une offre « instantanée » à un prix « instantané ». Mais les déterminants de ce prix instantané n’ont qu’un lointain rapport avec une tarification du prix de l’électricité au coût complet c’est-à-dire qui tient compte des coûts d’entretien et de renouvellement du parc mais aussi des coûts de recherche et d’innovation, comme des coûts de déconstruction de l’ouvrage en fin de vie.
Il est donc essentiel, dans une stratégie de moyen-long terme, de dissocier l’utilisation du prix instantané, réservé aux décisions de court terme sur le choix des centrales à démarrer ou des réserves hydrauliques à turbiner, et la référence aux coûts de développement à long terme, employée pour choisir les investissements. Malheureusement l’Europe électrique a brisé cette logique. Dans le but d’ouvrir le secteur à une concurrence maximale, la Commission entend ainsi imposer l’accès au marché de court terme pour tous les consommateurs, jusqu’aux ménages, directement ou via les entreprises qui commercialisent l’électricité au détail ; elle proscrit les contrats de long terme entre [les gros clients finals] et les producteurs ; elle avait aussi réclamé la disparition des tarifs réglementés pour les consommateurs domestiques censés prendre leur part aux risques du long terme.
A l’aune des enjeux climatiques, et 5 ans après l’Accord de Paris, un tel choix apparaît idéologique et daté. Il convient donc de repenser le système de mise en concurrence en fonction d’objectifs qui, tout en garantissant l’accès des consommateurs à un prix raisonnable, favorisent les investissements les moins coûteux dans les énergies décarbonées de demain.
Pour assurer un développement des moyens de production électrique conforme à ses choix de mix énergétique et à la sécurité de son approvisionnement, chaque État membre - ou ses entités publiques habilitées, telles en France, la CRE[4], RTE[5] voire, dans une perspective de décentralisation, des autorités régionales - doit pouvoir ainsi organiser des appels d’offres donnant lieu à des contrats de production de long terme avec les concurrents sélectionnés.
C’est ce que pratique en fait déjà en France la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui organise de tels appels à projets pour la production d’EnR avec souvent des prix subventionnés par rapport au marché de gros qui est un marché libre.
Tout investisseur qui installe une capacité de production, tel un concurrent d’EDF, dispose alors de trois voies, non exclusives, pour commercialiser l’électricité qu’il produit (outre les tarifs d’achat pour les très petites installations) :
- contrats de long terme gagnés auprès de l’acheteur central qui se charge ensuite de revendre cette électricité au consommateur final,
- contrats de long terme passés directement avec de gros clients finals ou « grossistes »,
- commercialisation sur le marché de gros, cette dernière solution, risquée, devenant logiquement réservée à une tranche d’énergie marginale.
Par ailleurs, pour la France, un dispositif avait été institué pour satisfaire aux exigences de concurrence de la Commission permettant aux concurrents d’EDF de bénéficier à bon prix d’une production nucléaire pour laquelle ils n’ont jamais investi : l’accès au nucléaire historique (ARENH) dont on verra la présentation en annexe ainsi que le diagnostic, mortifère pour EDF, qu’en a donné la Cour des comptes.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous préconisons de mettre fin le plus rapidement possible à ce dispositif de l’accès au nucléaire historique (ARENH). Ce pourra s’accompagner, vis-à-vis de la Commission, de la confirmation de l’engagement de la France de faire jouer la concurrence par appels à projets pour tous les nouveaux développements de production.
Nous proposons par ailleurs que le maintien de tarifs réglementés pour les consommateurs domestiques et les petites entreprises relève du choix de chaque État dans des conditions compatibles avec les conditions rappelées par le Conseil d’Etat dans sa décision du 18 mai 2018[6]. Nous proposons que cette mesure s’accompagne d’une assistance des collectivités locales à leurs administrés afin d’accélérer et d’optimiser leur transition énergétique.
Propositions 1 :
- Organiser des appels d’offres donnant lieu à des contrats de long terme entre les concurrents sélectionnés par l’acheteur central
- Supprimer le dispositif d’accès au nucléaire historique (ARENH) qui permet aux acteurs privés concurrents d’EDF de bénéficier à bon prix de la production nucléaire d’EDF
- Maintenir le droit aux tarifs réglementés pour les consommateurs domestiques et les petites entreprises
- Traduire en dispositions opérationnelles les bonnes intentions du Green Deal
Le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SEQE-UE en français ou EU-ETS en anglais) est la pierre angulaire de la politique européenne de lutte contre le changement climatique.
Le principe en est le suivant : Les États membres imposent un plafond sur les émissions des installations concernées (environ 12 000 installations dans les secteurs de la production d’électricité, des réseaux de chaleur, de l’acier, du ciment, du raffinage, du verre, du papier, etc.) qui représentent plus de 40% des émissions européennes de gaz à effet de serre de l’UE, puis leur allouent, soit gratuitement, soit moyennant paiement, les quotas correspondant à ce plafond. À la fin de chaque année, les installations sont tenues de restituer un nombre de quotas équivalent à leurs émissions réelles : c’est le principe pollueur-payeur.
Pendant longtemps, sous l’influence notamment de l’Allemagne et de la Pologne, qui ne voulaient pas trop pénaliser leurs consommations d’énergies carbonées pour la production d’électricité, les quotas accordés trop largement ont conduit à des prix excessivement bas, de l’ordre de 5 €/tonne de CO2, qui n’étaient pas dissuasifs. La réforme du système, en février 2017, par la mise en place d’une « réserve de stabilité » du marché et la réduction des quotas gratuits, a permis un relèvement des prix.
Alors que le rapport Stern-Stiglitz[7] préconisait de fixer le prix de la tonne de CO2 émise entre 40 et 80 € dès 2020 et entre 50 et 100 € en 2030, ce prix était jusqu’à récemment de l’ordre de 25 € par tonne de CO2 avec une perspective de 30 € à moyen terme. Depuis l'hiver 2020, c'est une hausse nette et franche que nous constatons : le seuil symbolique des 50 € a été franchi début mai 2021 ; il devient donc nettement plus incitatif à l’investissement dans des technologies moins émettrices de CO2.
Il conviendrait maintenant de se donner l’objectif de 100 € la tonne en 2030 et 200€ en 2050, horizon qui laisse aux acteurs le temps d’agir. Annoncer d’avance cette trajectoire et réguler la hausse tendancielle donnerait une précieuse visibilité aux acteurs du marché.
Cela va dans le bon sens pour la France et des pays-membres d’Europe du Nord dont l’électricité déjà largement non carbonée est peu contributive à cette taxation et restera très compétitive ; nous aurons donc beaucoup à gagner à un tel renforcement du dispositif de renchérissement des quotas car, contrairement à l’Allemagne ou la Pologne, notre électricité pourra se substituer à des consommations d’énergies fossiles avec un effet direct de réduction des GES. Dans le dialogue au sein de l’UE, notre intérêt est de peser sans concession pour le renforcement et l’extension du dispositif SEQE.
Car le défi n’est pas de la même ampleur pour tous. Certaines régions des pays charbonniers seront particulièrement affectées et connaîtront donc de profondes mutations économiques et sociales (l’Allemagne avec 50 000 emplois directs, qui a les ressources financières pour l’assumer, et la Pologne avec 120.000 emplois comme certains pays d’Europe centrale et orientale). Le mécanisme annoncé pour une transition juste leur fournira un soutien pour qu’elles puissent aider à la reconversion des travailleurs touchés et obtenir les financements nécessaires pour investir dans des systèmes de production d’énergie non carbonée.
C’est pourquoi nous approuvons que les revenus tirés de cette extension du marché du CO2 soient utilisés, d’une part, pour alléger les coûts de la transition énergétique par des aides régionales aux Etats membres qui en sont le plus éloignés, d’autre part pour soutenir des projets de production d’énergie non carbonée dans ces pays.
Rappelons cependant que seulement 40 % des émissions de CO2 de l’Union européenne relèvent du dispositif SEQE. Aussi conviendrait-il sans doute que la Commission propose l’extension du dispositif à d’autres entreprises et secteurs industriels pour rendre l’application de la taxation carbone plus générale sur le système productif européen.
En outre, s’agissant des transports de marchandises ou autres transports lourds, la Commission devrait s’inspirer de la démarche adoptée pour les voitures consistant à instituer un seuil d’émission plafond par véhicule produit. Le succès de cette réglementation pour promouvoir la transition vers la motorisation électrique plaide pour la reproduire pour les transports lourds et inciter à leur motorisation non carbonée : électrique sur batterie, hydrogène ou combustibles synthétiques non carbonés.
Propositions 2 :
Dans le cadre du marché d’échange de quotas d’émission mis en place par la commission (SEQE-UE) :
- Créer les conditions et une visibilité à moyen et long terme vers un prix de 100 €/tonne de CO2 en 2030, puis 200 € en 2050.
- Allouer une part des revenus de ce mécanisme d’échange aux pays membres, les plus éloignés des objectifs, sous forme d’aide à la reconversion économique régionale et au développement de production d’énergie non-carbonée (nucléaire, éolien, solaire…)
- Progressivement étendre le mécanisme du SEQE à d’autres entreprises et secteurs industriels (actuellement seul 40% des émissions de CO2 sont inclus dans ce mécanisme)
- Accompagner, pour les constructeurs d’engins de transport lourds, d’une limite aux émissions de CO2/Km (comme cela a été fait pour les constructeurs automobiles).
- Approuver une taxonomie des projets énergétiques de l’UE qui ne pénalise aucune énergie non carbonée
Lancée par la Commission européenne en 2018, l’idée de créer une “taxonomie verte” pour les activités économiques repose sur un principe simple : définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel tel projet ou telle entreprise sera considéré comme “vert”. C’est-à-dire contribuant à l’évolution positive du climat ou “atténuant” le réchauffement climatique.
En juin 2020, le Parlement européen a adopté un règlement définissant cette taxonomie, lequel devrait entrer en vigueur en deux temps : d’abord partiellement, à la fin de l’année 2021, puis totalement, fin 2022. Ce texte sera en quelque sorte la “boussole environnementale” de l’Europe, permettant aux investisseurs de savoir si leurs placements entrent en conformité avec les objectifs définis dans le Pacte vert pour l’Europe — à savoir la neutralité climatique à horizon 2050 — et dans l’Accord de Paris — à savoir la limitation du réchauffement de la planète à moins de 1,5 degré Celsius en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels.
Il faudrait, à cet égard veiller, en concertation avec les pays membres d’Europe centrale, la Finlande, voire d’autres tels les Pays-Bas ou le Danemark, qui ont ou envisagent des projets de développement du nucléaire, à ce que cette taxonomie européenne n’exclue pas les investissements électronucléaires de la liste des projets économiquement durables : ils permettent de produire une énergie très peu carbonée.
De même conviendra-t-il d’obtenir que la taxonomie de l’hydrogène ne donne pas l’exclusivité à l’hydrogène dit « vert » ou « renouvelable » parce que produit par des énergies renouvelables, au détriment de l’hydrogène produit par du nucléaire non carboné qui ne serait pas considéré comme étant subventionnable. Une telle décision éloignerait l’Europe de l’objectif de « neutralité climatique » annoncé par la présidente de la Commission. La question a d’ailleurs fait l’objet d’un avis, fin mars 2021, du Centre Commun de Recherche, le service scientifique de la Commission Européenne qui va dans notre sens en considérant qu’ « aucune analyse ne fournit de preuves scientifiques que l’énergie nucléaire porte atteinte à la santé humaine ou à l’environnement davantage que les autres énergies ». Le sujet est maintenant en débat au Parlement Européen[8].
Proposition 3 :
- S’assurer que l’énergie nucléaire ne soit pas exclue de la liste des projets économiquement durables de la taxonomie européenne.
- Idem pour l’hydrogène produit par électrolyse.
Pour les secteurs diffus, c’est-à-dire les entreprises qui ne sont pas soumise au SEQE de l’UE, responsables à 60% des émissions, le Clean Energy Package (CEP) est le paquet législatif proposé par la Commission européenne pour fixer le cadre réglementaire. Les derniers textes de ce “Paquet Énergie Propre” ont été adoptés au début 2019 par le Parlement européen.
Si l’objectif de décarbonation qui inspire ces textes est louable, il importe de ne pas perdre de vue le développement des EnR n’est qu’un moyen au service du véritable objectif qui est de réduire les émissions de GES, donc les consommations d’énergies fossiles. Là encore un prix du carbone (la tonne de CO2) mesurerait le coût épargné et permettrait de jauger l’ampleur des efforts à consentir en matière de réduction de la consommation, en laissant aux États membres le choix de leur mix énergétique.
A cet égard, l’existence d’une trajectoire à la forte hausse du coût de CO2 du SEQE de l’UE pourrait aider les États membres, ou l’Union si un consensus est atteint, à instaurer un tel prix du CO2 auprès des entreprises des secteurs diffus.
Parmi les dernières mesures adoptées, citons celles-ci, qui vont dans le bon sens pour la France :
- maintien des tarifs réglementés d’électricité, au moins jusqu’en 2025 ;
- généralisation des compteurs intelligents pour les consommateurs[9];
- suppression progressive des mécanismes de soutien aux centrales à combustibles fossiles ;
- accroissement des flux transnationaux d’électricité par le développement des réseaux d’interconnexion ;
- mise en place d’un système d’enchères des certificats de Garantie d’Origine (GO) d’électricité au bénéfice de l’État[10];
- réforme du mécanisme de capacité (pour garantir un approvisionnement en électricité, même avec une part élevée de renouvelables intermittents dans le mix électrique)[11];
- augmentation des prérogatives de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER).
Proposition 4 :
Recentrer le Clean Energy Package (CEP) sur des objectifs de résultat, c’est-à-dire de diminution d’émission de GES, et non sur les moyens à mettre en œuvre, trop axés aujourd’hui sur les seules EnR ou la réduction des consommations énergétiques.
- Vers une taxe carbone aux frontières ?
Il reste que l’augmentation du coût du CO2 et l’extension de son application peuvent rendre les entreprises européennes vulnérables à leurs concurrents de pays tiers qui ne seraient pas soumis chez eux à une telle taxation carbone.
L’intention de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Europe, évoquée à l’appui du Green Deal, aurait pour objectif de protéger l’industrie européenne contre la concurrence de produits importés très “chargés” en CO2 émis lors de leur production dans des pays tiers fort émetteurs de CO2 qui viendraient concurrencer les productions européennes sensiblement peu carbonées.
Si un tel dispositif est vertueux dans son principe[12], en pratique, il est difficile d’évaluer la juste empreinte carbone de chaque produit importé selon son origine de production, sauf à élaborer une véritable « usine à gaz » de règles d’évaluation complexes et peu transparentes avec des coûts de régulation élevés. C’est pourquoi, sans écarter cette solution, il conviendrait de réfléchir à des alternatives.
L’objectif étant d’inciter toutes les régions du monde à mettre en place un dispositif de taxation carbone comparable à l’UE-ETS, conduisant à une valorisation du carbone du même ordre pour tous, une variante plus simple consisterait à mettre en place, pour les marchandises émanant de chaque région de provenance, une taxe aux frontières de l’Europe s’appliquant uniformément à tous les produits importés de cette région, indépendamment du contenu carbone de chaque produit ; le niveau de cette taxe compenserait l’absence de prix carbone de cette région et le prix européen[13]. Outre qu’un tel système serait beaucoup plus simple installer et à contrôler, il serait aussi incitatif à la mise en place, partout dans le monde, de dispositifs de taxation du CO2 comparables au SEQE, dont les régions concernées bénéficieraient des recettes pour leurs politiques climatiques, comme à l’émergence à terme d’un prix unique mondial du CO2. Il serait aussi plus opérationnel pour en exempter les économies en développement.
On touche là un sujet qui relève des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. De surcroit, la nouvelle administration américaine, mise en place par Jo Biden, semble opposée à une quelconque taxe carbone européenne considérée comme protectionniste.
Il serait toutefois souhaitable que l’UE prenne l’initiative d’une négociation avec notamment les Etats-Unis et la Chine ; car tous deux expérimentent, comme l’UE, un dispositif de taxation du CO2 et peuvent faire avancer les choses au plan international.
Proposition 5 :
Inciter à l’ouverture par l’UE d’une négociation internationale en vue d’instaurer une taxe carbone aux frontières de l’Europe qui s’appliquerait à l’ensemble des marchandises provenant d’une région ne disposant pas d’un dispositif ou dont le prix de taxation du CO2 serait trop bas ; le niveau de cette taxe compenserait la différence entre le prix carbone de cette région et le prix européen.
Conclusions sur les rapports de la France avec l’UE
La France doit être plus entreprenante et mener sa propre politique de transition énergétique, au-delà des règles dépassées de l’Union européenne, en s’appuyant sur les objectifs ambitieux du Green Deal. Pour cela nous ne devrions nous laisser imposer, ni des objectifs particuliers de mix énergétique, ni des règles de concurrence dévoyées, ni une taxonomie des investissements énergétiques pénalisant le nucléaire et l’hydrogène produit par celui-ci ; ce qui importe, c’est la baisse effective des énergies carbonées, pas le mix ni les moyens pour y parvenir, qui relèvent du choix de chaque État membre de l’UE.
Certes la Commission reconnaît aujourd’hui que le nucléaire est “une énergie qui présente des avantages sur le plan climatique” et que la BEI est susceptible de financer de tels projets. Mais il n’y a certainement pas lieu de le pénaliser par rapport aux EnR ou a fortiori aux solutions de gaz fossile que l’Allemagne envisage d’adopter en substitution au charbon.
Sous prétexte d’améliorer à moyen terme son bilan carbone en remplaçant sa production d’électricité au charbon par des centrales au gaz, certes beaucoup moins émettrices de CO2, l’Allemagne s’enfermera à plus long terme, bien au-delà de 2050, dans des équipements non amortis, émetteurs de CO2
Il conviendrait, d’autre part, que nous encouragions la Commission à :
- Afficher un objectif de hausse du prix de la tonne de CO2 résultant du SEQE à 100 €/tonne en 2030 et 200 € en 2050 ;
- Elargir à d’autres secteurs le champ d’application de l’EU-SEQE ;
- Introduire pour les constructeurs de véhicules lourds de transport une réglementation limitant les émissions au km comme cela a été fait pour les voitures ;
- Engager une négociation internationale avec les Etats-Unis et la Chine pour mettre en place un dispositif de taxation des produits importés de pays ne disposant pas de dispositif de taxation ou à un prix trop bas.
Auteur : Jacques Roger-Machart
[1] En vertu de l’article 192 TFUE, les mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique sont arrêtées par le Conseil à l’unanimité : aucune mesure de ce type ne peut être imposée à l’Etat membre contre sa volonté.
[2] file:///C:/Users/jacqu/Downloads/Communication-Green_Deal_Investment_Plan_FR.pdf%20(1).pdf
[3] file:///C:/Users/jacqu/Downloads/Communication-Green_Deal_Investment_Plan_FR.pdf%20(1).pdf
[4] La coutume des négociations internationales dans les COP est de cibler les émissions territoriales et non l’empreinte carbone (tenant compte des importations et des exportations) ; ce sont celles-ci dont traite la neutralité ciblée.
[5] Commission de régulation de l’énergie.
[6] Réseau de transport d’électricité
[7] Dans cette décision, le juge admet que la réglementation des prix de vente de l’électricité figurant aux articles L. 337-4 à L. 337-9 du code de l’énergie doit être regardée comme constituant, par sa nature même, une entrave à la réalisation d’un marché de l’électricité concurrentiel prévue par cette directive 2009/72/CE. Il rappelle cependant qu’une telle entrave peut être regardée comme conforme à cette directive à la triple condition qu’elle réponde à un objectif d’intérêt économique général, qu’elle ne porte atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment durant une période limitée de temps et, enfin, qu’elle soit clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable.
[8]https://static1.squarespace.com/static/54ff9c5ce4b0a53decccfb4c/t/592b5174197aea28580df984/1496011529404/Rapport_PrixduCarbone_Final_29Mai.pdf
[9] Il faut souhaiter que nos élus, notamment « Verts », ne nous tirent pas une balle dans le pied en soutenant une distinction entre un hydrogène produit à partir d’EnR qui seul aurait droit au qualificatif de « vert », tandis que celui produit sur le réseau électrique, dont le mix contient des électrons issus d’une production électronucléaire, seraient pénalisés. Seul doit compter le taux de pureté en g de carbone/kWh de l’électricité utilisée.
[10] A cet égard, le compteur Linky d’Enedis est sans doute très utile pour le gestionnaire du réseau ; il l’est moins pour le consommateur lui-même.
[11] Une garantie d’origine “GO” est un document électronique qui permet à un fournisseur d’électricité de garantir à son client l’origine de l’énergie qu’il lui vend. Les certificats de GO ont été imaginés par l’UE comme un mécanisme de soutien pour les EnR. Cf. https://observatoire-electricite.fr/IMG/pdf/fiche_pedago_garantie_origine_avril_2018.pdf
[12] L’émergence de signaux de prix de long terme est indispensable aux investisseurs pour garantir la sécurité d’approvisionnement. Le Clean Energy Package comporte notamment une reconnaissance légale de ces mécanismes, et l’ébauche d’un cadre européen. Cependant, il ne résout pas, voir aggrave, l’absence de signaux de prix de moyen et de long terme en faveur de l’investissement.
Cf.https://ufe-electricite.fr/IMG/pdf/communication_preliminaire_du_secteur_electrique_francais_sur_le_clean_energy_package-2.pdf
[13] “Les industriels français en faveur d’une taxe carbone aux frontières”, titrait Le Monde du 18 juin 2020, commentant une note du groupe patronal La Fabrique de l’industrie.
[14] En 2015, le prix Nobel d’économie, William Nordhaus, a signé un article (Nordhaus, W., Climate Clubs to Overcome Free-Riding, Issues vol. xxxi, n°4 : https://issues.org/climate-clubs-to-overcome-free-riding/) dans lequel il présentait les avantages de tels “climate clubs” pour inciter les pays les plus récalcitrants à avancer plus rapidement vers une réduction de leurs émissions de CO2 et éviter la progression du phénomène dit des “passagers clandestins environnementaux”.