Insoumis et soumis

Laurent Joffrin | 28 Avr. 2022

Une perplexité inquiète… Tel est, sous forme de prudente litote, le sentiment qu’inspirent les négociations en cours au sein de la gauche. Si l’on comprend bien, forte de son résultat au premier tour de la présidentielle, la France insoumise propose à ses éventuels partenaires de concourir aux législatives sous sa bannière unique de « l’Union populaire », sur la base de son programme et avec une affiche nationale faite d’une photo en majesté de Jean-Luc Mélenchon. Ainsi la diversité de la gauche se changerait en un projet commun dicté par LFI, un peu comme la sainte trinité des catholiques, qui réunit le père, le fils et le Saint-Esprit dans une divinité unique consacrée par le même dogme. Mélenchon au plus haut des cieux…

Le leader de LFI est candidat au poste de Premier ministre. Habile tour de passe-passe (tant cette éventualité est improbable), qui le place au centre du jeu et témoigne de sa volonté de gouverner. Mais si l’on accepte un instant ce schéma, il faudrait donc que les socialistes soutiennent un futur chef de gouvernement qui entend s’asseoir sur les traités européens à chaque fois qu’ils ne lui conviennent pas, qui veut quitter l’Alliance atlantique, qui déciderait d’arrêter toute livraison d’armes à l’Ukraine envahie alors que le président Zelensky les réclame à cor et à cris, qui entend ramener l’âge de la retraite à 60 ans pour tout le monde, quand on sait qu’on a déjà du mal à financer le maintien d’un âge de départ à 62 ans, et qui exige enfin des dirigeants du PS un acte de contrition publique pour avoir gouverné avec François Hollande. Et le reste à l’avenant. On hésite entre les métaphores historiques : Canossa, les Fourches Caudines, les bourgeois de Calais…


La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner


On entend bien que la gauche a intérêt à s’unir pour affronter le scrutin de juin, qu’une élection abordée en ordre dispersé mènerait à un résultat désastreux, que les discussions autour d’un accord électoral font partie des figures habituelles d’une gauche aux courants multiples. Mais cela doit-il se traduire par l’humiliation publique et la reddition en rase campagne des partenaires de LFI ? Par la mise en place d’une opposition de gauche placée une fois pour toutes sous la férule de Jean-Luc Mélenchon, alors qu’une coalition dominée par la gauche radicale a toutes les chances de rester éternellement minoritaire, puisqu’il faut bien regagner des voix sur le centre pour revenir au pouvoir ? Au fond, l’alliance proposée revient à réunir les Insoumis avec les soumis.

N’y a-t-il pas d’autre solution ? Par exemple un accord à trois, PS-Verts-PCF, formule maintes fois éprouvée et qui peut, elle aussi, sauver les meubles et mieux refléter la diversité de l’électorat ? Voilà qui mériterait d’être exploré. Ou encore se réunir à quatre, plutôt que de voir chacune des composantes non-mélenchonistes se succéder comme au confessionnal pour recevoir l’absolution de LFI, avec obligation de réciter cinq Pater et douze Ave en signe de repentance.

Faudrait-il donc, pour s’asseoir et négocier, commencer par passer sous table ? On y gagnerait peut-être quelques sièges, et encore… Mais on y perdrait à coup sûr son identité et son avenir.  

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages