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Interdire les contrôles d’identité ? - Lettre politique #63
C’est ce qu’on appelle une boulette de communication. En proposant, « à titre expérimental », de créer des zones où les contrôles d’identité seraient interdits, la défenseure des droits, Claire Hédon, a créé une polémique aussi nuisible que contre-productive.
Le ban et l’arrière-ban de la droite dure et de l’extrême-droite en ont aussitôt fait leurs choux gras ; les syndicats de police ont protesté ; l’opinion, de toute évidence, s’est retournée en grande majorité contre elle. Voyant l’étendue de la bévue, madame Hédon s’est largement rétractée le lendemain sur Europe 1, en expliquant qu’elle était favorable aux contrôles d’identité, dès lors qu’ils sont conformes à l’esprit de la loi, et qu’elle visait en fait les contrôles arbitraires, sans « traçabilité », et non la pratique en elle-même. Autrement dit, la défenseure des droits, dans son expression, a mal défendu les droits.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
C’est dommage : l’arbre de la bévue médiatique cache une forêt de mauvaises pratiques. Plusieurs études montrent qu’en France – comme dans l’autres pays – ces contrôles sont affectés d’un biais ethnique. Le prédécesseur de madame Hédon, ainsi que plusieurs sociologues de la sécurité, ont établi qu’un quidam « non-blanc » avait entre 7 et 20 fois plus de chances d’être contrôlé qu’un « blanc ». Ainsi le principe d’égalité devant la loi est-il notoirement bafoué.
Nuançons. Les spécialistes, constatant cette différence, distinguent entre les concepts de « disparité » et de « discrimination ». Dans certains cas, la différence dans l’intensité des contrôles d’identité selon les catégories sociales s’explique par la démographie des endroits où ils ont lieu. Dans un quartier populaire où habitent nombre de personnes issues de l’immigration, ou bien dans un lieu connu pour des activités de trafic de drogue au sein d’une cité immigrée, la différence est logique : par définition, les personnes contrôlées seront souvent « non-blanches ». C’est la « disparité ».
Mais selon les mêmes études, la différence demeure dans les autres quartiers, même si elle est moindre : partout, en fait, les « non-blancs » sont sur-contrôlés. Dans ce cas, il est parfaitement légitime de parler de « discrimination », ou de « contrôle au faciès ». D’autant que dans plus de 90% des cas, le contrôle ne donne lieu à aucune interpellation. Ce qui veut dire que neuf fois sur dix, on demande ses papiers à un « non-blanc » qui n’a rien à se reprocher. On comprend facilement que les personnes contrôlées, parfois plusieurs fois par an – ou même par mois ou semaine – en tirent un sentiment d’injustice et d’humiliation. Cette iniquité, même involontaire de la part des policiers, creuse un fossé d’incompréhension, ou d’hostilité, entre la population « non-blanche » et la police. Manifestement, les policiers obéissent à un préjugé, souvent inconscient, selon lequel les jeunes « non-blancs » sont par définition suspects. Ce qui contrevient à la loi, qui proscrit explicitement les contrôles réalisés sur la base de la couleur de la peau.
En France, le phénomène est aggravé par une pratique dommageable : ces contrôles (plusieurs millions par an sur tout le territoire) ne laissent aucune trace administrative. L’État se prive ainsi des moyens de mesurer la discrimination de fait qui touche les « minorités visibles » (alors que ces statistiques existent dans d’autres pays, par exemple en Grande-Bretagne).
Comment corriger tout cela ? Trois pistes s’imposent.
- Il s’agit d’abord de rendre ces contrôles « traçables ». Soit par la délivrance d’un récépissé, soit par le truchement d’une caméra portative personnelle qu’on fournirait aux policiers. Laquelle pourrait servir d’élément de preuve pour protéger les personnes contrôlées, mais aussi aux policiers quand ils sont victimes d’insultes ou d’agressions.
- On doit ensuite détacher du ministère de l’Intérieur l’organe de contrôle chargé de détecter les manquements policiers, de manière à le rendre vraiment indépendant et restaurer ainsi un début de confiance entre police et population *.
- Il faut enfin réfléchir à l’utilisation massive de ce moyen de contrôle des populations. À New-York, par exemple, le maire Bill de Blasio, élu en 2014, puis largement réélu, a réduit de manière draconienne le nombre des contrôles, de manière apaiser les relations entre le NYPD et les New-yorkais. Rien ne montre qu’il s’en est suivi une augmentation de la délinquance. D’une manière générale, les travaux académiques n’établissent pas de lien net entre l’intensité des contrôles et la délinquance.
Tenter de réduire le nombre des contrôles, donc, et surtout les rendre justes. Voilà ce que la défenseure des droits aurait pu dire, plutôt que déclencher un buzz caricatural qui a desservi sa cause.
* On se reportera aux propositions formulées par « Engageons-nous » dans la plateforme « Le temps des possibles ».