Islam : la charte qu’on néglige - Lettre politique #54

Laurent Joffrin | 27 Janvier 2021

Décidément, les musulmans républicains ne sont guère aidés dans ce pays. Adoptant une démarche quelque peu autoritaire, le gouvernement avait demandé aux principales organisations du culte musulman en France de rédiger et de signer une charte principielle qui définisse les rapports de la deuxième religion de France avec la République. Démarche qui en rappelle une autre : en son temps, Napoléon avait exigé des autorités cultuelles juives de répondre à un questionnaire serré destiné à démontrer la volonté du judaïsme français de s’intégrer à l’Empire et à ses principes. Ce que le Grand Sanhédrin, réuni en 1806, avait accepté, en échange de « l’émancipation » promise dès les débuts de la Révolution et consacrée, sous une forme un tant soit peu disciplinaire, par un empereur expéditif.


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Passant sur les formes, faisant preuve d’une bonne volonté remarquable, les principales fédérations musulmanes ont rédigé le document et l’ont adopté solennellement. Difficile, à lire ce texte, d’y trouver à redire. Le document fait sien les principes de la laïcité, récuse toute discrimination envers les femmes, condamne tout préjugé envers les personnes homosexuelles, proclame la liberté de conscience, refuse toute supériorité des préceptes de l’islam sur les lois de la République et stigmatise « l’islam politique », citant nommément ses sectateurs, les Frères musulmans ou bien les courants salafistes. Bref, il rappelle les bases d’un islam apaisé, pacifique et respectueux de la culture républicaine. Il contredit au passage, avec éclat, tous ceux qui jugent les principes coraniques incompatibles avec ceux de la République.

Dans une atmosphère de suspicion générale envers cette religion, qu’une partie de l’opinion juge étrangère à la France (alors que les musulmans sont présents sur le territoire national depuis un bon siècle), l’affaire méritait à coup sûr une attention soutenue, sinon la « une » de journaux dont certains sont si prompts à relever et à dénoncer, à l’inverse, tous les indices d’une mauvaise intégration des musulmans à la culture républicaine. Au lieu de cela, la charte fut décrite et commentée – certes – mais avec une étrange retenue, comme un fait banal ou peu significatif. On mit surtout en exergue le fait que toutes les autorités musulmanes n’ont pas signé le texte en question, que certains imams ont protesté, que les représentants signataires ne traduisent pas la totalité de l’opinion musulmane.

C’est un fait – peu surprenant – que le mouvement Tabligh, groupe fondamentaliste minoritaire prônant une vie en marge de la société occidentale, n’a pas signé, pas plus que deux fédérations liées au régime turc d’Erdogan, sans doute irritées par un paragraphe qui critique le financement du culte musulman par des autorités étrangères. C’est un fait, aussi, qu’au sein de cette religion sans véritable clergé, les autorités spirituelles n’ont pas la représentativité attribuée aux évêques de France et au Pape dans la religion catholique.

Mais chacun sait aussi que la « question intégriste », dont on doit se soucier avec vigilance, est l’objet d’une bataille, non entre les musulmans en général et la République, mais au sein même de l’islam. Dans ces conditions, qu’on retrouve dans tous les pays musulmans, n’est-ce pas une stratégie élémentaire que de conforter l’islam pacifique et républicain pour isoler autant que possible ses franges islamistes ? Et donc d’accueillir avec faveur et solidarité les efforts des clercs musulmans qui luttent contre l’intolérance et le « séparatisme », parfois sous la menace physique des intégristes, de mettre en valeur leurs idées et leurs actions, de marquer clairement la volonté des laïques de garantir la liberté de conscience et de culte, dès lors que celle-ci se déploie dans le cadre commun à tous les Français.

À moins, bien sûr, qu’on soit, somme toute, gêné par les efforts républicains de cet islam pacifique, en raison d’une hostilité générale envers l’islam qu’on n’ose pas avouer officiellement, mais qui gouverne en fait ce traitement médiatique placé sous le signe des deux poids, deux mesures.      

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages