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La descentada de Montebourg - Lettre politique #120
Arnaud Montebourg propose de bloquer les transferts d’argent vers les pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants déboutés en France du droit d’asile. Il faut, dit-il élégamment, « taper au portefeuille ». L’ennui, c’est que le « portefeuille » en question est souvent celui de familles très pauvres qui dépendent pour leur vie quotidienne des envois de maigres subsides opérés par celui ou celle de leurs membres qui a émigré en France. Comme si elles étaient les responsables de la politique menée par leur gouvernement. Terrible aveu de faiblesse d’une démocratie occidentale, qui préfèrerait s’attaquer aux individus plutôt qu’aux gouvernements de ces pays.
Éric Zemmour ne s’est pas privé d’ironiser sur cette mâle proposition qu’il avait lui-même formulée, ainsi que Marine Le Pen. Ce que plusieurs personnalités de gauche – Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau, entre autres - ont rappelé sur un ton coupant. Montebourg est le chantre d’une forme de « souverainisme de gauche ». C’est souvent le sort de ce courant politique : à force de souverainisme, il oublie la gauche. La « remontada » nationale dont se réclame Montebourg, se change en « descentada » sur l’échelle des valeurs.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Mais cette passe d’armes débouche aussi sur la confusion. La gauche a raison d’étriller Montebourg emporté par son habituelle impétuosité. Mais elle aurait tort d’ignorer le problème très réel qu’il soulève de la plus mauvaise manière. C’est un fait que les « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) sont en France très peu appliquées. Selon la Cour des Comptes, la grande majorité des personnes déboutées du droit d’asile restent en fait sur le territoire national. Certains militants s’en satisfont en jugeant que ces migrants en situation irrégulière ne font de mal à personne et cherchent seulement à trouver en France un moyen d’échapper au sort misérable qu’ils subissent dans leur pays d’origine.
La remarque est juste mais elle laisse entier un problème juridique et politique fort délicat. Peut-on rester inerte quand une loi de la République, sensible à une grande partie de l’opinion, n’est pas appliquée ? Surtout quand on prétend assumer la charge du gouvernement du pays… On condamne Montebourg à juste titre. Mais quid de la question qui fâche : que fait-on quand les critères d’admission au séjour ne sont pas remplis par des demandeurs d’asile? Il n’y a que deux réponses sensées à cette désagréable interrogation : si l’on considère que ces critères d’admission sont arbitraires ou que les reconductions à la frontière sont moralement condamnables, il faut les abolir. Mais on doit alors expliquer à tous qu’on instaure une forme de « droit d’installation » dévolu à quiconque souhaitant s’établir en France, ce qui n’existe dans aucun pays. En revanche, si l’on considère qu’il est légitime de réguler l’entrée et le séjour, on doit appliquer les règles, sauf à admettre que, sur un point important, l’État ne se soucie pas de faire respecter la loi votée par le Parlement (et ratifiée jusqu’ici par tous toutes les majorités, de gauche comme de droite). Le courage politique consiste en cette matière, comme dans les autres, à prendre un parti clair et cohérent[1]. Oui, notre droit national doit être appliqué, et les obligations de reconduite à la frontière, exécutées. Il n’est pas normal que les pays d’origine ne reconnaissent pas leurs ressortissants et refusent leur retour. La France doit en faire un sujet de négociation avec les gouvernements de ces pays, et lier une partie de l’aide au développement à un accord de gestion des flux migratoires. A force de laisser ce dilemme dans l’ombre, d’éviter une question qui la dérange, la gauche ne cesse de s’affaiblir face à une opinion inquiète, notamment au sein des classes populaires.
Enfin, en centrant le débat sur les reconduites à la frontière, la droite (et Arnaud Montebourg) évite de traiter un sujet bien plus complexe et crucial pour l’avenir de notre société : celui de l’intégration des enfants d’immigrés présents légalement sur notre territoire. En se concentrant sur les reconduites à la frontière, Arnaud Montebourg donne une fausse impression de fermeté. Aucune mention au cours de son interview du rôle de l’école dans l’apprentissage des valeurs de notre République et de la précarisation du personnel enseignant, pourtant en première ligne pour permettre l’intégration de ces enfants. Aucune mention du rôle des associations, longtemps porteuses d’un contre-discours républicain face aux groupuscules salafistes, et qui ont disparu progressivement avec la fin des contrats aidés initiée par Emmanuel Macron. Notre société mérite mieux qu’un débat caricatural et des coups de mentons démagogiques.
[1] Voir sur ce point les propositions des Engagé.e.s sur le site « engageons-nous.org ».