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La droite des fils à papa

Laurent Joffrin | 24 Janvier 2022

« Le clivage droite-gauche, cela ne veut plus rien dire ». Combien de fois ce cliché paresseux revient-il dans les conversations ou les commentaires de presse ? Fausse profondeur et conformisme des analyses délivrées d’un ton docte : Valérie Pécresse, candidate de la droite classique (notoirement droitisée), vient de remettre les pendules à l’heure, sur un sujet où, précisément, la différence entre la droite et la gauche est, pour ainsi dire, chimiquement pure. Dans le Figaro, elle propose d’exonérer totalement l’héritage de 95% des Français, sans toucher pour autant aux grosses successions (imposées aujourd’hui à 45% après abattements et donations diverses, c’est-à-dire, en fait, nettement moins). Marine Le Pen et Éric Zemmour ne sont pas en reste, préconisant l’une et l’autre d’alléger également les impôts qui touchent la transmission du patrimoine matériel. Zemmour propose même de supprimer toute taxation sur la transmission des entreprises petites et moyennes.

Macron, soucieux de ménager sa droite, penche du même côté que Pécresse. Il caresse l’idée de réduire les mêmes impôts, dans des proportions encore inconnues, à rebours de ses déclarations antérieures : « Si on a une préférence pour le risque face à la rente, disait-il en 2017, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation de de la succession aux impôts de type ISF ». Changement de décor : on réduira les deux, ce qui est plus simple. Plus de rente, donc, moins de risque : c’est le nouveau macronisme…

La justification de ces mesures est particulièrement éclairante. Valérie Pécresse, comme ses deux concurrents d’extrême-droite, y voit un moyen de conjurer les menaces qui planent, pense-t-elle, sur l’identité française, mélangeant allègrement la transmission de la culture française avec celle de l’argent accumulé. Et de citer la désormais célèbre phrase d’Emmanuel Macron « il n’y a pas de culture française, il y a une culture en France », signant selon ses adversaires de droite sa volonté de « déconstruire » l’héritage culturel du pays. Procès abusif : sous Macron, comme sous ses prédécesseurs, la France est restée l’un des pays où la puissance publique protège le plus le patrimoine français et la création.


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Mais procès significatif : pour la droite et l’extrême-droite, l’argent privé, sa transmission, sa répartition inégale, sont au coeur de l’identité du pays. Les mesures qu’ils préconisent auront pour effet de pérenniser les fortunes, grandes et petites, d’une génération à l’autre, de protéger les dynasties de l’argent au sein de la vie économique. L’exonération totale des transmissions de PME consolidera la position des familles de notables qui dominent la vie sociale des petites villes et des villages. Mesure de classe par excellence :  la grande et la moyenne bourgeoisie pourront transmettre sans angoisse leur patrimoine à leurs rejetons favorisés, qui se seront seulement, pour accéder à la prospérité, « donné la peine de naître », selon le mot de Beaumarchais. Touche pas à mon magot : c’est la France des fils à papa… Aujourd’hui, déjà, la richesse héritée atteint 70% du patrimoine total et pourrait, si l’on continue, ou si l’on accentue la tendance, comme le demande la droite, atteindre 90%, soit le niveau de 1850 ! On se croirait revenu au 19ème siècle, dans cette France de la propriété rentière qui soutenait la monarchie ou, à défaut, la République conservatrice, contre le mouvement ouvrier « spoliateur ». Retour en force des hiérarchies enracinées, où chacun reste à sa place de père en fils ou en fille, dans une société qui fait de la conservation et de l’inégalité ses valeurs cardinales. Tel est le vrai sens social du discours obsessionnel sur l’identité, la transmission et la tradition française : la culture, c’est l’argent !

Sans surprise, la gauche se situe à l’opposé de cette économie de la rente. Non qu’elle veuille nier l’héritage : de Mélenchon à Hidalgo, elle prévoit de maintenir à un niveau modéré - ou même d’abaisser - les taux d’imposition des petits patrimoines (une maison, un appartement, un contrat d’assurance-vie…). Mais elle prévoit, en compensation, d’accroître les droits de succession sur les grandes fortunes, considérant que les héritiers riches doivent contribuer plus que les autres aux dépenses communes de la nation. Mélenchon prévoit même de tout prendre au-delà de douze millions, mesure quelque peu léniniste, qui risque fort de provoquer une fuite massive des propriétaires de grandes entreprises, ce qui ne serait guère habile. Toujours cet irénisme de la radicalité. La justice fiscale, c’est la contribution progressive, comme le proposent Hidalgo et Jadot, non la confiscation.

Mais au total, entre les deux côtés du spectre politique, deux visions de l’avenir du pays : meilleure égalité des chances d’un côté, protection des situations acquises de l’autre. Gauche et droite, en somme…

 

 

 

Source image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cadena_de_ADN.jpg

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages