La guerre de Zemmour

Laurent Joffrin | 28 Mars 2022

Quiconque visionnera de bonne foi la vidéo du meeting d’Éric Zemmour au Trocadéro se fera son opinion. Pendant dix secondes, la foule scande le slogan « Macron assassin ! ». L’orateur s’interrompt, comme il le fait depuis le début du discours quand la foule réagit bruyamment, puis il reprend le fil de son propos, sans réagir. Difficile, pour ne pas dire impossible, de souscrire à l’explication donnée par l’équipe de campagne : Zemmour n’aurait pas entendu le slogan vengeur. Comment est-ce possible quand ce cri résonne sur toute la place et que Zemmour, lui, est silencieux ? Il fait ensuite publier un communiqué où il affirme ne pas le reprendre à son compte, avant de le condamner plus nettement dans un deuxième communiqué. Correction tardive.

En fait, son silence face à la haine brute n’a rien d’étonnant. Il suffit d’écouter le reste du discours ou encore les interventions de De Villiers ou de Marion Maréchal. Même si les mots sont plus choisis, il n’y est question, en fait, que de vindicte et de guerre civile : l’État laisse assassiner nos braves compatriotes, la France est à l’agonie, le « grand remplacement » a commencé, on voit le moment où les musulmans seront majoritaires en France, les « racailles » tiennent le haut du pavé, Zemmour est le seul à réunir « fin du mois » et « fin de la France », le tout avec la complicité de médias « collabos », etc.

Le candidat promet de respecter la liberté de culte pour les musulmans. Mais il maintient que « l’islam et l’islamisme, c’est la même chose », jetant tous les musulmans dans le même sac du fanatisme et de la violence. L’immigration est le danger principal, bien avant Poutine et ses chars d’assaut, lequel Poutine est plus un modèle qu’un adversaire : « Il nous faudrait un Poutine français », disait-il avant la guerre d’Ukraine. C’est-à-dire un dictateur voué à la défense de l’identité française. Ce rejet de l’immigration vaut d’ailleurs pour les réfugiés ukrainiens, dont il refuse la venue, avant de concéder du bout des lèvres que certains d’entre eux seront finalement admis. Intolérance, dureté, xénophobie d’État, rupture avec les conventions internationales inspirées des droits humains, dénonciation de la « décadence » liée au féminisme ou au respect des droits des homosexuels, bref, une transposition à peine édulcorée de la rhétorique nationaliste des années trente. Zemmour ne le cache pas en privé, ceux qui l’ont connu de près en témoignent : il croit à la prochaine guerre civile et s’y prépare.


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Ces outrances répétées ont fini par enrayer sa rapide montée en puissance et lui-même, de toute évidence, ne croit pas à sa présence au deuxième tour, à moins qu’un miraculeux « vote caché » fasse mentir les pronostics. Mais on aurait tort de se rassurer. Zemmour a fait l’événement dans cette campagne, il est le seul, à ce jour, à pouvoir réunir des foules aussi massives, et la ferveur agressive de ses partisans ne se dément pas. Un dixième des électeurs, au moins, croient eux aussi à une prochaine guerre civile. Tous les zemmouristes ne sont pas des fascistes. Certes. Mais tous les fascistes sont chez Zemmour. Et surtout, par un effet indirect, le chef de « Reconquête » a placé Marine Le Pen dans le camp de la modération et de respectabilité, alors même que le programme du RN n’est pas très éloigné, sur le fond, de celui de l’ancien polémiste. Si la candidate du RN parvient au deuxième tour, elle disposera pour la première fois d’un réservoir de voix considérable.

Ce qui distingue ce scrutin de celui de 2017. Affaibli par une exécrable entrée en campagne, Macron donne des signes de fragilité. Ses partisans directs (27-28% à ce jour dans les sondages) sont moins nombreux que ceux de l’extrême-droite. Le duel sera donc arbitré par les autres électeurs, de gauche et de droite, ou bien abstentionnistes du premier tour. Dans cette hypothèse, la droite choisira-t-elle de rejeter l’extrême-droite ? Pas sûr. Quant à la gauche, rappelons-nous que Jean-Luc Mélenchon, en 2017, avait refusé d’appeler en faveur d’Emmanuel Macron. Et par vindicte « antisystème », une grande partie des Français peuvent être tentés de renverser la table. Les sondages de second tour donnent Macron vainqueur à 54-46%. Quatre points d’écart ; le président reste favori. Sauf accident…

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages