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La lettre politique de Laurent Joffrin #8 - Violences : le bleu et le jaune
Violences : le bleu et le jaune
« Un pays qui se tient sage », l’opus de David Dufresne sur les violences policières promis à un grand succès public, est un bon film militant.
Un bon film parce qu’il est fort. Déjà sur un téléphone mobile, sur une vidéo, l’image est choquante. Au cinéma, quand le regard monte vers l’écran, la vision des brutalités infligées aux gilets jaunes lors des manifestations de 2019 prend la forme d’un réquisitoire. On voit, on sent, on mesure l’extrême dureté avec laquelle le gouvernement a réagi aux manifestations, quand ces sans-culottes contemporains, quelles que soient leurs ambiguïtés politiques, ont laissé éclater une colère compréhensible pour avoir été trop souvent délaissés, oubliés, méprisés. Manifestants éborgnés, mains arrachées, matraquages à terre, tirs tendus en pleine face… La violence crue des images traduit la violence excessive déployée pendant ces six mois âpres, amers et dramatiques. C’est un manifeste haletant : du rond-point au coup de poing.
Un film militant ? À coup sûr. Sans être occultée, la violence des manifestants occupe une toute petite partie du film, non qu’elle justifierait les excès policiers, mais simplement parce que quiconque a suivi ces événements sait que les forces de l’ordre ont été souvent surprises par l’agressivité d’une partie des protestataires, qu’il s’agisse de militants de l’ultra-gauche, de l’extrême-droite, de pillards opportunistes, ou de citoyens mus par le sentiment d’injustice.
Film militant, aussi, involontairement cette fois : les autorités ont refusé de s’exprimer. Ce silence élimine d’emblée toute explication officielle, toute analyse venue de l’intérieur de l’État, tout plaidoyer d’un quelconque responsable du maintien de l’ordre. Si bien que le film, souvent à sens unique quoique documentaire, explique peu et juge beaucoup.
Jugement parfois hâtif : une série d’intellectuels, souvent très à gauche, dissertent sur le « monopole de la violence légitime » conféré à l’État, selon la définition classique de Max Weber, pour contester cette légitimité ou bien pour suggérer que la « violence légitime » est du côté des manifestants. Mais sans jamais poser la question qui complique tout : si l’État ne peut user de contrainte – et donc, parfois, de violence – comment défendra-t-il la démocratie si elle est attaquée ? Que diraient ces universitaires fort bien-pensants si l’État restait inerte devant une entreprise factieuse venue de l’extrême-droite ? Fustigeraient-ils encore la violence policière ? Ou bien, au contraire, l’appelleraient-ils de leurs vœux au nom de la défense républicaine ? Et comme on ne peut faire deux poids deux mesures, c’est-à-dire réprimer certains débordements et non les autres, il faut bien s’en remettre à la loi. Si des manifestants l’enfreignent, la police est fondée à intervenir. En retour, si la police l’enfreint en commettant des violences « illégitimes », l’État est fondé à la sanctionner.
À condition – c’est là que la discussion devient intéressante – que cette réponse soit proportionnée et encadrée à son tour par la loi démocratique. Plutôt que rabâcher le catéchisme de la gauche radicale sur « l’État au service des dominants », plutôt que stigmatiser toutes les « violences policières » sans distinguer celles qui sont légales et celles qui violent la loi, il vaut mieux se demander ce que doit être le comportement de la police républicaine dans pareille circonstance.
Son premier devoir est l’exemplarité. Chargée de défendre la loi, la police ne saurait s’y soustraire. Ses manquements doivent être rapidement et justement sanctionnés. Elle ne doit pas craindre d’être filmée : les images, mises dans leur contexte, montreront que les policiers ont respecté les règles ou bien permettront de sanctionner ceux qui ne l’ont pas fait. Dans les deux cas, la police y gagnera, tout comme la confiance des citoyens.
La France est l’un des rares pays à recourir aux armes LBD, qui ont causé une partie des blessures montrées dans le film. Cette anomalie dangereuse doit cesser. Parallèlement, la formation continue des policiers aux situations de conflit de rue doit se développer.
Enfin et surtout, il faut retirer à la seule Inspection générale de la police nationale (IGPN, la « police des polices ») la charge des enquêtes sur les fautes policières pour la confier à un organisme indépendant, piloté par le Défenseur des droits. Aujourd’hui, celui-ci mène ses enquêtes mais ses avis ne sont que très rarement suivis par le ministère. L’indépendance du contrôle de la police existe en Grande-Bretagne. Pourquoi pas en France ?
En d’autres termes, ce n’est pas la dénonciation sommaire et unilatérale de la police qui améliorera le comportement des forces de l’ordre et rétablira la confiance avec la population. C’est sa réforme déterminée, dans un esprit républicain.