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Le véritable ennemi de Poutine
Si la situation n’était si tragique et sanglante, la déconfiture du lobby pro-russe en France aurait quelque chose de comique. Depuis de longues années, à des titres divers, l’extrême-droite d’un côté, la gauche « anti-impérialiste » de l’autre, agrémentées de certains adeptes de la « realpolitik » à la Fillon ou à la Carrère d’Encausse, nous expliquent qu’il faut « parler à Poutine », que l’OTAN a commis d’immenses bévues en Europe de l’Est, que l’Occident a eu grand tort « d’humilier » la Russie, etc. Les voilà fort marris, contraints de brûler ce qu’ils ont adoré pour conserver un semblant de crédit.
Non seulement l’agression russe en Ukraine a pris à revers un discours dont on constate aujourd’hui qu’il était pour l’essentiel munichois – céder au dictateur pour apaiser ses appétits – mais qu’il était fondé sur une analyse géopolitique fantaisiste. Vladimir Poutine a défini clairement son but de guerre, il suffit de se reporter à ses déclarations : il ne s’agit plus de faire droit aux revendications des partis russophones de l’est du pays, pur prétexte, ni même d’organiser la partition du pays, compromis dont il ne veut pas. Il s’agit de supprimer purement et simplement l’Ukraine en tant qu’État indépendant, au mépris de la volonté de son peuple. Le projet est clair : faire de ce pays une République de la Fédération de Russie, étroitement inféodée au maître du Kremlin, comme elle l’était au temps de l’URSS ou des Tsars.
A cette aune, les analyses faussement savantes des russophiles français ne valent plus rien. L’humiliation historique ? L’Occident n’y est pas pour grand-chose. L’abaissement est d’abord venu de la Russie elle-même, quand le pays a vu s’effondrer sur lui-même un système communiste aberrant et impotent, seulement soutenu par la police et l’armée, lesquelles ont fini par comprendre que l’URSS avait fait son temps Elle est ensuite venue, non de l’Occident, mais de la volonté des peuples jusque-là subjugués par Moscou de proclamer leur indépendance. Très logiquement, ils ont voulu se rapprocher de l’Europe et de l’OTAN pour prévenir le retour possible de l’impérialisme russe. Qui peut les blâmer ? Instruits par l’Histoire, les Ukrainiens, les Polonais, les Hongrois, les Roumains, les Tchèques, les Slovaques, les Bulgares, les Moldaves, les Baltes, et même les Géorgiens, préfèrent l’Europe à la Russie. C’est le fait fondamental.
La seule « faute » de l’Union européenne et de l’OTAN, c’est d’avoir accepté cette revendication élémentaire, qui ressortit d’un principe accepté par toutes les démocraties : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour ne pas « humilier les Russes », il eût donc fallu livrer toutes ces nations à la volonté de puissance de Poutine ! Au nom de quel principe ? Au nom de quel « réalisme » ?
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Quant à la « menace de l’OTAN », quelle est-elle ? Quelques milliers de soldats répartis autour de la Russie. Imagine-t-on l’OTAN soutenir l’immense et redoutable armée balte – ou bien roumaine, moldave ou géorgienne - soudain lancée à l’assaut de la Russie ? Baliverne : en Europe de l’Est, l’Alliance est dans une posture strictement défensive et n’a d’autre but que de garantir l’intégrité territoriale de ses membres.
Poutine n’a pas seulement des visées de conquête. Il a surtout une idéologie, celle qu’on retrouve au sein de l’extrême-droite européenne, en France notamment. Pour lui, la démocratie est un système faible et pervers, qui dissout des traditions religieuses et sociales, favorise l’athéisme, l’homosexualité, le pacifisme et autres « déviances », et mène tout droit à la décadence. Seul un régime autoritaire et identitaire peut prévenir cet inéluctable déclin. D’où la sympathie des droites radicales pour la Russie, qui la leur rend bien. Nul « réalisme géopolitique » là-dedans. Le Pen et Zemmour adhèrent, non aux « justes revendications russes », mais à sa vision du monde et de la société, c’est-à-dire à ses dogmes.
D’où la nature réelle du conflit en cours. Il ne s’agit pas seulement de faire pièce à une expansion armée. Il s’agit d’affronter un ennemi de notre système politique et social, conscient et déterminé, qui veut s’étendre au centre de l’Europe, mais tout autant intervenir dans les affaires du monde, en Syrie ou au Mali par exemple, ou encore dans les univers neufs de l’espace ou du cyberespace pour affaiblir les nations libres. Le véritable ennemi de Poutine, ce n’est pas l’Occident ou l’OTAN. C’est la liberté. Démocraties ouvertes contre dictatures nationalistes : c’est l’enjeu qui domine désormais la géopolitique planétaire.