Le virus nationaliste - Lettre politique #57

Laurent Joffrin | 04 Février 2021

On était habitué aux absurdités en chaîne produites par ce Brexit à la fois funeste et loufoque. La crise de la Covid vient d’en susciter une nouvelle, sur un mode nettement plus tragique.

Mis en cause pour sa gestion erratique de la pandémie, Boris Johnson, jouant à fond la logique cocardière propre aux « brexiters », a voulu se rattraper en se procurant avant l’Union européenne une masse considérable de doses du vaccin « AstraZeneca ». Compétition cruelle, puisque dans un contexte de relative pénurie, les doses réservées aux Britanniques risquent de manquer aux habitants de l’Union européenne. Mais enfin…

L’affaire s’est changée en crise politique quand les fabricants du vaccin ont annoncé qu’ils n’honoreraient pas, tout compte fait, les commandes passées par l’Union (alors qu’ils ont prévu de livrer la Grande-Bretagne comme convenu). Fureur des dirigeants de l’Union, qui se sentent trahis par leurs fournisseurs et doivent annoncer à leurs populations qu’ils ralentissent le rythme des vaccinations. D’où leur riposte : le vaccin étant fabriqué sur le continent pour une bonne part, ils ont décidé de contrôler les exportations de doses de l’Union vers la Grande-Bretagne, de manière à empêcher que le gouvernement britannique profite outre mesure de la mauvaise manière de la firme pharmaceutique en siphonnant les doses destinées aux Européens.


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C’est là que les baroques arrangements nécessités par le Brexit ont révélé leur essentielle irrationalité : en sortant de l’Union, le gouvernement de Londres entre autres effets pervers, a rétabli, ipso facto, la frontière entre l’UE et la Grande-Bretagne, qui passe désormais au milieu de l’Irlande, puisque la République, au sud, est dans l’Union, et l’Ulster, au nord, n’y est plus. Or les accords de paix signés avec les nationalistes irlandais stipulaient précisément que cette frontière devait rester ouverte et qu’on n’y opérerait plus de contrôles physiques. Fragile équilibre que les accords du Brexit ont préservé en effectuant les contrôles de marchandises, non sur l’île, mais entre l’Irlande et l’Angleterre (ce qui contrarie beaucoup des unionistes de l’Ulster).  

En réactivant les contrôles aux frontières, en Irlande notamment, la Commission de Bruxelles a donc contrevenu à son tour à l’esprit des accords de paix. Hurlements subséquents des deux côtés de la Manche et de la mer d’Irlande, rétropédalage contrit de la Commission, noms d’oiseaux échangés au cours de coups de fil fort peu diplomatiques. Entretemps, pour calmer le jeu, AstraZeneca a annoncé que les commandes européennes seraient finalement honorées, du moins en grande partie.

Morale du nationalisme : plutôt que coopérer pour répartir les sacrifices et les efforts, on cherche à damer le pion aux nations voisines, quitte à accroître leurs pertes en vies humaines et à déclencher au passage des conflits byzantins et ridicules entre nations amies.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages