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Les deux étendards
La première polémique de l’année restera aussi comme l’une des plus ridicules. Prenant la présidence de l’Union, Emmanuel Macron a fait déployer, « pour quelques jours » - dixit le gouvernement - un drapeau européen sous l’Arc de Triomphe. Avec son habituelle finesse, l’extrême-droite s’est jetée sur cet os en poussant force aboiements. « Provocation », « attentat », « outrage » : on avait remplacé un étendard par un autre, crime contre la patrie.
La vérité est qu’il n’y avait pas de drapeau sous le monument avant que l’emblème européen y soit placé, que le déploiement de la bannière bleu et or était temporaire, et que le symbole n’avait rien de choquant, dans la mesure où aucun texte ne l’interdit et où le drapeau tricolore retrouvera évidemment sa place habituelle à chaque manifestation officielle. Lepénistes et zemmouriens ont démontré une nouvelle fois leur totale mauvaise foi. Ils affichent leur détestation de l’Europe en poussant des cris d’orfraie pour un drapeau, mais ils n’osent pas proposer la sortie de l’euro et encore moins celle de l’Union européenne. On fustige le symbole mais, de peur de perdre des voix, on accepte sans le dire ce qu’il représente. Hypocrisie, démagogie anti-communautaire, inconséquence totale : on dénonce sans cesse l’Europe mais on veut y rester ; à moins qu’on ait comme projet d’en sortir sans l’avoir dit auparavant… Dans tous les cas, tromperie envers l’électeur.
Le plus inquiétant de cette affaire artificiellement montée réside dans le suivisme de candidats en principe sérieux. Tombant dans le piège, Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon se sont mis à la remorque du nationalisme à front bas en dénonçant à leur tour l’étendard communautaire. Ils accréditent l’idée que l’Union et la France sont deux entités opposées, que l’Europe et la nation sont incompatibles. Position stupide, indigne de candidats à la présidence soi-disant responsables. Quant au gouvernement, il décide de retirer le drapeau de la discorde, de toute évidence avant la date prévue, offrant une victoire politique à Le Pen et Zemmour, qui crient aussitôt victoire. Médiocrité du débat, reculade miteuse qui profite à la seule extrême-droite.
L’argument clé consiste à rappeler que l’Arc de Triomphe célèbre une victoire française, celle du 2 décembre 1805, et que la tombe du soldat inconnu, placée depuis la Grande Guerre sous la « dalle sacrée », commémore le sacrifice des soldats morts pour la France. Deux remarques.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
S’agissant de l’arc lui-même, construit par la volonté de Napoléon 1er, un esprit ironique remarquera qu’il exalte le souvenir de la bataille d’Austerlitz, étape décisive dans la constitution du Premier empire. L’Empereur voulait unifier l’Europe sous sa direction : le drapeau européen ne dépare donc pas le monument… Avec cet avantage : cette fois, l’unification européenne s’est faite pacifiquement et volontairement, ce qui lui donne une supériorité morale sur l’entreprise napoléonienne, sanglante et massacrante à souhait.
Quant au souvenir du soldat inconnu, en quoi serait-il entaché par le drapeau européen ? Serait-ce un geste antinational que de rappeler que la Grande Guerre, magnifiée par le courage des poilus, fut aussi la matrice des désastres du XXème siècle, puisqu’elle a donné naissance aux deux grands totalitarismes qui ont ensanglanté le continent, stalinisme et nazisme ? Ceux de 14-18 souhaitaient ardemment que la guerre, à laquelle ils ont payé un si lourd tribut, fût aussi « la der des der ». Après tant d’épreuves et de deuils, après un deuxième conflit mondial largement né du premier, ce rêve né dans les tranchées a finalement été exaucé. Depuis soixante-dix ans, l’Union, souhaitée, négociée et développée par tous les gouvernements français, de droite comme de gauche, y compris ceux du Général de Gaulle, assure la paix à une bonne vingtaine de peuples qui avaient passé les vingt siècles précédents à se faire la guerre. Ainsi, loin de ternir notre mémoire, la présence d’un drapeau européen sous l’Arc de Triomphe couronne, par un juste signe de paix, tous les espoirs de ces jeunes hommes sacrifiés : une France rendue à elle-même au milieu d’un continent pacifique et unifié.