Les fascistes du Capitole - Lettre politique #48

Laurent Joffrin | 07 Janvier 2021

Des précédents ? Il n’y en a pas, sinon l’incendie du Capitole par les Anglais… en 1814. La manifestation factieuse de Washington, déclenchée par Trump et qu’il a très tardivement désamorcée en disant aux protestataires de « rentrer chez eux », est inédite dans l’histoire des États-Unis. Dans ce Capitole, il n’y avait pas d’oies : à la suite d’une aberration policière, le sanctuaire de la démocratie américaine a été violé.

Ce qui signe, s’il en était besoin, la nature anti-démocratique du mouvement trumpiste, couverte par des appels rhétoriques au respect de la volonté populaire. Cette « volonté populaire », outre qu’elle est minoritaire dans le pays, a été abusée par un mensonge hénaurme, la dénonciation d’une tricherie massive qui n’a jamais existé, sinon dans l’esprit pervers ou malade du président américain.

 En France, on pense irrésistiblement au 6 février 1934, quand une manifestation convoquée par les ligues fascistes et monarchistes, et par le mouvement des Croix-de-Feu, a dégénéré dans la violence. Certains manifestants – mais pas les Croix-de-feu – voulurent prendre d’assaut le Palais-Bourbon. La police dut tirer sur la foule sur le pont de la Concorde, laissant la Chambre des Députés inviolée, mais causant un bilan humain très lourd. La crise fit tomber le ministère et déboucha sur un gouvernement d’union nationale. La gauche décida de se rassembler devant la menace fasciste et lança le processus qui aboutit à la victoire du Front populaire.

Une ressemblance ? Oui, il faut bien le dire : en faisant irruption au Congrès pour inverser le résultat d’une élection légale, les manifestants, apôtres de la suprématie blanche, et donc racistes – comme ceux de 1934 étaient antisémites – accros aux armes à feu, enclins aux affrontements violents, menaçants, sommaires, haineux envers les élus et les élites, font renaître aux États-Unis une forme de fascisme qui a quelques traits communs avec les factieux des années trente.

La comparaison s’arrête là : l’envahissement du Capitole, semble-t-il, n’obéissait pas à un plan préconçu, mais bien plus à l’irresponsabilité de Trump, dont les diatribes ont chauffé à blanc ses partisans. Le président s’est ensuite rangé – à contre-coeur – à la logique des institutions en annonçant que la passation de pouvoirs serait normale. Ce qui laisse entier le problème posé par le trumpisme extrémisé, qui risque de susciter à l’avenir bien d’autres violences.

Autre différence, essentielle : les démocrates ont gagné l’élection avant la manifestation et non après comme la gauche des années trente. C’est le seul point rassurant dans cette affaire. En dépit de tous les mensonges, de toutes les propagandes, de toutes les simagrées, le Parti républicain emmené par Donald Trump vient de connaître son Waterloo électoral. Après deux mois de fumées trompeuses et de tartarinades confuses, la vérité apparaît en pleine lumière : Trump a été sévèrement battu, avec sept millions de voix d’écart et 232 délégués contre 306 à son rival démocrate ; au Sénat, l’ex-Grand Old Party vient de perdre sa majorité, ce qui permettra à Joe Biden de gouverner avec le soutien des deux chambres du Congrès. En Géorgie, bastion républicain, les deux sièges sont enlevés par deux démocrates donnés battus en début de parcours. Les conservateurs, quoique forts dans le pays, se retrouvent minoritaires dans les trois instances élues de la vie politique nationale, à la Maison Blanche et au Capitole. Quant au Parti républicain, il sort de cette équipée écartelé entre ceux qui ont suivi Trump dans sa folle tentative de contester les résultats, et ceux qui gardé un peu de décence en refusant de s’associer à ces honteuses manœuvres. Le mandat Trump s’achève pour les républicains sur un désastre politique et moral. La force du national-populisme américain reste grande, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est résistible, dès lors que les démocrates ont su lui opposer un candidat et un programme rassembleurs.

Dans « La Servitude volontaire », La Boétie, l’ami de Montaigne, soutenait que la force des tyrans repose avant tout sur le consentement de leurs sujets et que si, par hypothèse, ceux-ci refusaient d’obéir, leur pouvoir serait aussitôt annulé. C’est ce qui s’est passé pour Donald Trump. À chaque fois qu’il a essayé, en usant de toute la puissance de sa fonction, de renverser le scrutin dans tel ou tel état, ou de fausser le résultat national, il s’est heurté au refus des responsables locaux ou des juges, souvent des républicains eux-mêmes. Dernier essai en date : la conversation téléphonique surréaliste tenue avec le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, dans laquelle le président lui demande de trouver les 11780 bulletins qui manquent pour inverser l’élection en sa faveur. Sobre et embarrassé, ce responsable républicain lui oppose un « non » sans réplique, fondé sur sa volonté de respecter les lois et les faits. C’est ainsi le sens civique de fonctionnaires ou d’élus intermédiaires qui a fait échouer la tricherie trumpienne.

On peut en déduire la grande fragilité de la démocratie américaine : il eût suffi à Trump de trouver un seul complice parmi les juges ou les responsables électoraux, pour qu’il puisse clamer son bon droit avec quelque chance d’être entendu. Il n’en a trouvé aucun. Malgré les pressions, les menaces, aucun de ces responsables de second rang n’a cédé à la servitude volontaire. Fragile, menacée, submergée parfois par l’irrationalité et les mensonges, la démocratie américaine est toujours debout.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages