LREM : cachez ce voile… - Lettre politique #90

Laurent Joffrin | 12 Mai 2021

Le « En même temps » cher à LREM a l’inconvénient majeur de se changer très vite en gloubi-boulga. On en voit l’illustration dans l’affaire dite de « la candidate voilée », qui vient de plonger le parti présidentiel dans un débat confus qui n’a d’autre effet que de profiter au Rassemblement National.


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Jordan Bardella, numéro deux du RN, dénonce dans un tweet une affiche de campagne de LREM à Montpellier, sur laquelle figure une jeune femme souriante et voilée. Piège des réseaux sociaux : plutôt que de se renseigner et de pondre une position argumentée, Stanislas Guerini, chef du parti, retweete le poulet numérique de Bardella et ajoute qu’il condamne sans ambages l’usage de signes religieux à des fins électorales. Insigne gaffe sur la forme – reconnue ultérieurement par l’intéressé – qui consiste à se placer à la remorque numérique du RN en lui laissant, en quelque sorte, le contrôle temporaire de sa campagne. Du coup la « gauche du parti » (dans une formation qui récuse en principe la division droite-gauche…) s’étrangle et désavoue hautement Guerini. Pataquès, charivari et cacophonie.

Le port d’un signe religieux ostensible dans une campagne électorale n’a rien d’illégal. Le défunt chanoine Kir, prêtre séculier bourguignon également député (et inventeur du breuvage du même nom), a longtemps siégé à la Chambre en soutane. Christine Boutin, longtemps députée, a toujours mis en avant, dans ses discours politiques, ses références religieuses. Le parti démocrate-chrétien, fort papiste, fut un pilier de la IVe République sans qu’on s’en émeuve beaucoup. Pourquoi pas une ostensible musulmane sur une liste cantonale ? C’est l’obsession française du voile islamique qui alimente la polémique, bien plus que le respect ou le non-respect des principes de laïcité, qui sont en fait muets sur la question. C’est l’État qui est neutre, non la classe politique.  

Tout se complique néanmoins. Selon certains articles de presse, la jeune candidate, ingénieure et militante associative, anime une organisation qui semble liée, peu ou prou, à la mouvance des Frères musulmans, notamment au CCIF, organisation proche de l’islam politique. Si tel est le cas – cela demande vérification –, la question devient plus délicate : ce n’est plus affaire de vêtement, mais de positions politiques. Celles de ce courant, il faut le dire, sont largement incompatibles avec celles de LREM. Un seul exemple : le CCIF s’est fondé autour d’une revendication principale : abroger la loi qui proscrit le port de signes religieux ostensibles dans les salles de classe, jugée discriminatoire. Une loi que la majorité LREM défend. Mieux : le gouvernement LREM vient justement de dissoudre le CCIF sous l’accusation de « séparatisme », concept macronien estampillé. On passe du « en même temps » au grand écart…

La confusion a une origine : l’amateurisme du parti LREM. Plutôt que d’attendre l’admonestation du RN, à laquelle Guerini obtempère, peut-être eût-il mieux valu traiter la question préalablement, avant que soit publiée cette affiche électorale. C’est ce qu’aurait fait un « vieux parti » doté d’instances démocratiques et délibératives. Mais ces partis ressortent du « vieux monde ». Alors…

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages