Mutisme et macronisme

Laurent Joffrin | 07 Juin 2022

Étrange campagne… Le débat triangulaire qui prélude à ces élections législatives est à l’image de la vie politique qui nous attend dans les années qui viennent.

On sait que le paysage électoral est désormais dévolu, tel l’empire de Charlemagne après le traité de Verdun, à trois souverains qui dominent sans partage leur royaume : Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Au terme de longues tribulations, ces trois suzerains ont établi leur impérium, respectivement, sur la droite, le centre et la gauche, vassalisant sans merci les petits seigneurs qui s’agitent en vain dans leur fief, tels Zemmour, Philippot, Bertrand, Bayrou, Philippe, Bayou, Faure ou Roussel.

On pourrait croire à un conflit intense entre trois royaumes équivalents, chacun occupant grosso modo un tiers du territoire politique, chacun espérant l’emporter. Il n’en est rien. Il y a un favori et deux improbables challengers. Pour une raison simple : à droite et à gauche, ce sont les plus excentrés, les plus radicaux, qui dominent leur apanage. A l’inverse des règles antérieures du jeu politique, qui poussaient à la convergence vers le centre, le RN et LFI ont, chacun dans leur camp, assis leur domination sur leurs concurrents plus modérés. Ils sont bien incapables, en conséquence, de réunir autour d’eux une majorité, puisque leur victoire serait vécue comme une aventure dangereuse par les deux tiers de l’électorat. Par comparaison, le parti d’Emmanuel Macron, qu’il soit opposé au RN ou à LFI, paraît moins effrayant pour une majorité d’électeurs. Autrement dit, par contraste et sans faire beaucoup d’efforts, il est devenu la seule incarnation d’un parti de gouvernement. 

D’où la non-campagne menée avec une rare énergie par la République en Marche. Comme lors de la présidentielle, le macronisme est d’abord un laconisme. Tonitruants, ses concurrents effraient une majorité d’électeurs. Dès lors, les candidats du président sont persuadés qu’il suffit de ne rien dire pour gagner. À des slogans incandescents, à des discours enflammés, il leur suffit pour convaincre d’opposer un filet d’eau tiède.


La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner


Quels sont les projets des macronistes ? Quelles mesures proposent-ils ? Quelles perspectives ouvrent-ils pour le pays ? A ces questions, ils répondent par un mutisme obstiné qui vide le débat politique de toute substance. Il suffit de lire les professions de foi des candidats de Renaissance, la coalition rassemblée par le président : on y apprend que le parti centriste est pour la prospérité contre la misère, pour l’emploi contre le chômage, pour l’union contre la division, pour la démocratie contre la dictature, pour la santé contre la maladie, pour le beau temps contre la pluie. C’est la stratégie du mystère et de la boule de gomme. Vous ne savez pas ce que je vais faire ? Pas grave : ce sera toujours moins dangereux que ce que veulent faire les autres.

Bien sûr cette posture de muet du sérail trouve ses limites. A laisser ses intentions dans l’ombre, Renaissance crée une sorte de trou noir électoral qui aspire les électeurs. Rarement une formation favorite aura suscité si peu d’enthousiasme. On sait déjà que le premier parti de France sera celui des abstentionnistes. On voit aussi dans les sondages que la majorité promise à la macronie se change peu à peu en peau de chagrin. À force de ne rien dire, on perd l’écoute de ses électeurs.

À cette maladie du silence, il n’est qu’un seul remède : la reconstitution d’une droite et d’une gauche de gouvernement, qui puissent contester le monopole par défaut conféré à la nébuleuse centriste. Mais c’est une perspective qui exige un travail long et opiniâtre, celui qu’avec d’autres à gauche le mouvement Engageons-nous a entrepris. Dans l’immédiat, au royaume des grandes gueules, les muets sont rois.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages