Non, la Commune n’est pas morte ! - Lettre politique #65

Laurent Joffrin | 19 Février 2021

Encore une fois, ceux qui annoncent sans cesse, tels des coucous suisses, la disparition de l’opposition droite-gauche en sont pour leurs frais. Au Conseil de Paris, la droite parisienne s’insurge à grand renfort de rhétorique étranglée contre l’hommage à la Commune prévu par la majorité de gauche.


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Les socialistes de la mairie sont quelque peu déconcertés : il leur semblait que l’insurrection de 1871, démocratique, patriotique et sociale, était entrée dans le consensus républicain, que l’atroce répression versaillaise était condamnée par tous, que les mesures prises par les Communards, sociales et démocratiques, faisaient l’objet d’un accord général. Las ! Retrouvant les accents de Maxime du Camp, l’ami très conservateur de Flaubert, la droite parisienne, comme sortie d’un musée de la Réaction, proteste contre ce geste de mémoire et met en exergue les violences ouvrières, l’incendie des Tuileries ou de l’Hôtel de Ville pour rejeter l’hommage prévu par la municipalité d’Anne Hidalgo.

Étonnante persistance des clivages de classe entre la droite et la gauche. Aujourd’hui encore, comme en 1871, ce sont les arrondissements de l’ouest, par lesquels l’armée versaillaise a pénétré dans Paris insurgé, qui votent pour le parti LR, tandis que ceux de l’est et du nord, plus populaires, bastions héroïques de la résistance ouvrière pendant la « semaine sanglante », apportent leurs suffrages à la gauche.

Un peu d’histoire, donc. Écrasée par les forces prussiennes, l’armée de Napoléon III a rendu les armes le 2 septembre 1870. La République du 4 septembre, proclamée par Gambetta au balcon de l’Hôtel de Ville de Paris, tente de défendre le territoire national. Pendant l’hiver 1870-1871, les Parisiens subissent un siège d’une dureté inouïe, mais les soldats de Bismarck sont les plus forts. Il faut admettre la défaite : les hostilités s’arrêtent, le Reich allemand est proclamé dans la Galerie des Glaces à Versailles, Adolphe Thiers devient chef du gouvernement provisoire et des élections organisées à la hâte, dominées par les notables, les curés et les hobereaux de la province, donnent une large majorité aux monarchistes, partisans de la paix. Sauf à Paris, où résident ouvriers et artisans et où les républicains l’emportent.

Thiers veut désarmer les Parisiens. Il envoie la troupe s’emparer des canons remisés sur la butte Montmartre. La foule se révolte, les soldats fraternisent, une Commune insurrectionnelle prend le pouvoir à Paris tandis que les autorités officielles se réfugient à Versailles. Pendant trois mois, la Commune instaure un pouvoir démocratique, aux accents plus jacobins que socialistes, même si on trouve parmi les leaders communards quelques marxistes, des proudhoniens et des blanquistes. Pendant ce temps, Thiers rassemble une armée de reconquête, qui entre dans Paris le 21 mai et procède à une impitoyable répression. C’est pendant cet épisode de guerre civile, en réponse aux exactions versaillaises, que les Communards exécutent des otages (dont Monseigneur Darboy, martyr de la cause catholique) et que des insurgés – sans ordre de la Commune – incendient plusieurs bâtiments publics, dont les Tuileries et l’Hôtel de Ville, actes fort condamnables mais qui ne découlent pas d'une politique systématique.

À l’inverse, la répression versaillaise est méthodique, impitoyable, à la mesure de la frayeur éprouvée par la classe bourgeoise. Entre 6 000 et 30 000 morts selon les estimations, souvent des exécutions sans jugement, complétées par des déportations massives dans des possessions lointaines (telle Louise Michel en Nouvelle-Calédonie). Les mesures prises par la Commune, peu communistes à vrai dire – des réformes sociales, des dispositions de défense nationale, la séparation de l’Église et de l’État, la démocratie locale, l’égalité hommes-femmes, le divorce par consentement mutuel, etc. – sont aujourd’hui presque toutes entrées dans le patrimoine républicain commun à tous les Français.

Et voici que la droite parisienne, prenant les patins de Monsieur Thiers et du général de Galliffet, le grand fusilleur, voudrait réprimer une nouvelle fois les Communards. Fort heureusement, Paris est à gauche. Ainsi Louise Michel, Jules Vallès, Flourens, Varlin, Eugène Pottier, Jean-Baptiste Clément, Gustave Courbet… et Arthur Rimbaud, piéton de la révolte, seront célébrés à leur juste valeur. Vive la Commune !

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages