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Plus de production, moins de carbone ? - La lettre politique de Laurent Joffrin #30
Plus de production, moins de carbone ?
Les bonnes nouvelles sont toujours chassées par les mauvaises. Pourtant celle-ci, passée largement inaperçue, mérite qu’on s’y arrête, même si les affres de la crise de la Covid ou les polémiques sur les projets douteux du gouvernement ont vite repris le devant de la scène : selon le groupe d’experts universitaires Climate Transparency (cité par Le Monde), qui publie un rapport annuel fort crédible, les émissions de gaz à effet de serre des pays du G20 (les plus riches et les plus polluants) ont pour la première fois diminué en 2019. Certes la baisse est modeste (-0,1%). Mais elle fait suite à une longue période de croissance régulière des mêmes émissions (+1,4% par an en moyenne depuis 2005).
Surtout ne pas crier victoire : cette diminution ténue est très inférieure à celle qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la COP21. Au rythme actuel, même ralenti, la planète n’atteindra pas l’objectif de réchauffement mondial de 2 degrés considéré comme une limite haute pour éviter la catastrophe. Mais le rapport de Climate Transparency contient une information importante pour la stratégie à suivre. Cette légère baisse s’est manifestée en l’absence de tout « choc externe » pour l’économie mondiale. Aucune crise financière, aucune épidémie n’est venue affecter la production en 2019. Celle-ci a donc cru d’environ 3%. Et malgré ce rythme d’expansion plutôt alerte, les émissions ont légèrement diminué, grâce aux investissements réalisés dans les énergies renouvelables – qui se substituent à la consommation de charbon – et aux premiers efforts conséquents (mais encore insuffisants) en matière d’économies d’énergie. Il apparaît donc possible de réduire l’empreinte carbone globale sans pour autant arrêter le développement de l’économie mondiale. Plutôt que de choisir l’austérité pour ménager le climat, il est nettement plus rationnel de jouer le découplage entre production et pollution, c’est-à-dire de faire décroître certains secteurs (celui des énergies fossiles, en l’occurrence) pour en faire croître d’autres, notamment celui des énergies renouvelables. Conclusion : plutôt que choisir une stratégie malthusienne, il vaut mieux investir dans l’intelligence humaine, dans la science et la technologie pour protéger l’avenir de la planète, que dans une contraction draconienne de la consommation mondiale, socialement insupportable.
Rappelons qu’il faut réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre aux alentours de 2030 pour atteindre le but défini par la COP21. Sans découplage entre production et pollution, il faudrait donc, arithmétiquement parlant, réduire la production mondiale de 40% sur dix ans pour remplir le contrat. Quel gouvernement proposera à son peuple de réduire son niveau de vie de près de la moitié pour des motifs écologiques, seraient-ils parfaitement fondés ? Et s’il le fait, pourra-t-il résister à des protestations dont le mouvement des gilets jaunes n’a donné qu’un modeste avant-goût ?
En 2020, à cause de la Covid, la production mondiale va se contracter de plusieurs points, entraînant une baisse des émissions de GES estimée à environ 7%. Mais cette récession inédite depuis la guerre est unanimement tenue pour un désastre social et humain. Et en l’absence de réformes de structures suffisantes, ces émissions reviendront l’année suivante au niveau antérieur.
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, il faudrait réduire de 7% les émissions chaque année. Il faudrait donc que chaque année, l’économie mondiale subisse un choc comparable à celui de la crise du coronavirus, avec son corolaire en termes de pauvreté. Un million de français ont basculé dans la pauvreté ; en Afrique la crise pousserait 40 millions d’Africains dans l’extrême pauvreté, effaçant les progrès réalisés au cours des cinq dernières années. On le voit bien ici, la décroissance ne peut être la solution au réchauffement climatique.
L’enjeu n’est pas de viser la décroissance mais de viser la décarbonation de l’économie. Des réformes sont possibles, à condition d’y mettre une suffisante volonté politique. Climate Transparency note que les gouvernements du G20 continuent de subventionner les énergies fossiles nettement plus que les énergies renouvelables. Cette absurdité peut prendre fin si les opinions en prennent conscience. De même qu’elles peuvent contraindre les gouvernements à presser les investissements dans l’isolation des bâtiments, dans l’agro-écologie ou dans les « nouvelles mobilités ». De même, autre bonne nouvelle, la victoire de Joe Biden, qui n’a rien d’une révolution, conduira tout de même les États-Unis à réintégrer les accords de Paris. Biden a promis de mettre son pays sur la voie de la neutralité carbone pour 2050. Ainsi les principaux pays du G20 sont désormais d’accord – verbalement – pour décarboner autant que possible leur économie. Un rayon d’espoir, donc…
Ce qui confirme le diagnostic global : ce n’est pas la décroissance globale de la production qui promet le redressement écologique. C’est la mutation écologique appuyée sur le génie humain et l’action politique.