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Référendum en stuc - Lettre politique #42
Décidément, Emmanuel parle trop. On le savait déjà, à mesurer l’excessive longueur de ses discours. Voici que l’affaire du référendum en donne la nette confirmation. Au départ, l’intention n’était pas mauvaise : consulter un groupe de citoyens tirés au sort sur les moyens de répondre à l’urgence climatique. Ceux-là n’étaient pas des experts. Mais justement : en leur donnant le moyen de s’appuyer sur les résultats de la science, eux qui n’avaient sur la question ni savoir profond ni préjugés, on démontrerait que tout esprit raisonnable, travaillant avec d’autres, progressivement mis au parfum, prendrait en compte les données du problème et formulerait des solutions pertinentes.
Ainsi fut fait : la « convention citoyenne » travailla d’arrache-pied et accoucha de quelque 150 propositions destinées à mettre la France sur la voie de la transition écologique. C’est là qu’une certaine forme de prodigalité verbale – et cette manie de dire à chacun ce qu’il veut entendre – se retourne aujourd’hui contre le Président. Dans l’enthousiasme du moment, ou dans la volonté d’encaisser un bénéfice politique, Emmanuel Macron promit sous les vivats que toutes les mesures proposées – sauf trois – seraient transmises au gouvernement et au Parlement « sans filtre ». Las ! C’étaient les deux mots de trop. Réexaminant les propositions de la Convention, le Président s’aperçut que certaines de ces mesures, et non des moindres, risquaient de le mettre dans l’embarras. Il faudrait mécontenter certains secteurs industriels, affronter des lobbys, s’écarter de certaines lignes de conduite préalablement arrêtées, dépenser plus d’argent que prévu, etc. Si bien que le Président se sentit obligé de se dédire et de placer un « filtre » là où il avait promis de ne pas en mettre.
Ce qui causa évidemment un pataquès avec la Convention, dont les membres avaient pris pour argent comptant la promesse présidentielle. Surpris, déçus, parfois furieux, ils se mirent à protester sur tous les tons dans les médias, assurant que l’État manquait à sa parole. Comment en sortir ? Dans ces circonstances, il faut trouver une annonce spectaculaire, une panacée médiatique propre à détourner l’attention du pas de clerc qu’on venait de commettre. Cette panacée a un nom : référendum. On ajouterait à la Constitution une phrase solennisant l’urgence climatique et le bon peuple serait convié à l’approuver.
L’ennui, c’est que l’impératif écologique figure déjà dans la loi fondamentale et qu’elle a déjà, juridiquement, préséance sur les lois ordinaires. L’ajout ne servira qu’à répéter ce qu’on a déjà proclamé. Il faudra aussi le faire voter par les deux chambres dans les mêmes termes. L’Assemblée le fera, le Sénat dominé par la droite, probablement pas. Emmanuel Macron pourra ainsi rejeter l’échec de sa démarche sur l’opposition. Et si d’aventure la droite votait le texte, s’attribuer le mérite d’une mesure consensuelle.
Un tel référendum, sur un texte qui n’aura probablement aucun impact sur notre quotidien, a de fortes chances d’être boudé par une bonne partie des électeurs. Le Président choisit de consulter le peuple sur une rédaction juridique, qui ne changera en rien la vie de chacun d’entre nous. S’il avait voulu montrer son attachement à la procédure de référendum, pourquoi n’y a-t-il pas eu plutôt recours à l’issus du Grand Débat, pour soumettre les propositions bien plus concrètes issues des débats et des cahiers de doléances* ? Cela aurait été là un signe de courage politique et un moyen de revigorer notre démocratie. Ce référendum répond à un tout autre objectif.
En son temps, François Mitterrand s’était tiré d’un mauvais pas en proposant un « référendum sur le référendum ». Georges Pompidou avait lui aussi usé de la même arme à des fins de politique intérieure en lançant un référendum sur l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Europe, de manière à diviser socialistes et communistes réunis autour du Programme commun. Les deux manœuvres firent long feu : le premier référendum resta lettre morte, le second fut marqué par un tel taux d’abstention que PC et PS n’en subirent aucun dommage. Mais à chaque fois, on avait détourné l’attention de l’opinion en amusant le tapis. Ter repetita. Pour la troisième fois le référendum sert à couvrir une petite combinaison, comme les décors en stuc camouflent les murs décrépits. C’est ce qu’on appelle une nouvelle manière de faire de la politique dans un nouveau monde…
* Contrairement à l’engagement pris par le gouvernement, ces cahiers de doléances n’ont pas été rendus publics. L’association « Rendez les doléances ! », fondée par Didier Le Bret et Paul Melun, milite pour qu’ils soient numérisés et rendus accessibles à tous en ligne.