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Taubira : diviser pour unir

Laurent Joffrin | 10 Janvier 2022

Christiane Taubira « se soumettra » au verdict des urnes virtuelles de la « Primaire populaire ». En clair, elle se présente officiellement à la présidence de la République, puisqu’on voit mal qu’elle soit battue dans un scrutin où elle est la seule personnalité de gauche vraiment connue des électeurs. Elle fut ministre de la Justice de François Hollande et elle a gagné respect et prestige à gauche par la manière à la fois pugnace, empathique et littéraire dont elle a défendu le projet de loi sur le « mariage pour tous ». Avec un courage indéniable quand on se souvient des injures honteuses qu’elle a essuyées de la part de certains opposants à cette réforme.

Osons le dire néanmoins, la sympathie que suscite cette femme de talent et de cœur n’effacera pas les paradoxes qui affectent sa démarche. Elle a d’emblée affirmé, au nom de l’unité nécessaire de la gauche, qu’elle ne voulait pas ajouter sa candidature à celles qui s’étaient déjà manifestées. D’où la « primaire populaire ». L’ennui est que personne d’autre, parmi les candidats et candidates, ne souhaite y participer : Jadot et Mélenchon ont dit non sur tous les tons. Hidalgo a proposé de le faire, mais à la condition que les écologistes s’y joignent, sans quoi cette primaire ne peut jouer son rôle de simplification. Cette condition n’étant pas remplie, elle se tiendra logiquement à l’écart. Et donc la candidate Taubira – ce qui est parfaitement son droit – fera le contraire de ce qu’elle a annoncé : son nom allongera la liste des candidatures au lieu de la raccourcir.


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Elle vise évidemment à provoquer un mouvement d’opinion qui l’imposera face à ses concurrents. On n’en voit pas les prémisses : les quelques sondages qui ont mesuré son audience comme candidate la placent au-dessous de 5% et l’électorat de gauche se retrouve un peu plus fragmenté. Certains voient en elle la représentante d’une « gauche morale » qui romprait avec le souvenir d’un quinquennat dont ils pensent, de manière quelque peu masochiste, qu’il n’était pas assez à gauche. Taubira s’est effectivement séparée de Hollande sur la question de la « déchéance de nationalité ». Mais c’était un an avant la fin du quinquennat, ce qui signifie qu’elle a cautionné, comme membre du gouvernement, l’ensemble de la politique menée pendant plus de trois longues années. Chose peu surprenante à la vérité : son itinéraire politique la place de toute évidence non sur la gauche de la gauche, mais plus à droite. Elle avait voté en son temps l’investiture d’Édouard Balladur ; candidate sur la liste Tapie dans des élections européennes, elle a concouru, en ratatinant son score, à l’élimination de Michel Rocard de la course présidentielle. Membre du Parti radical, elle a proposé de supprimer l’impôt progressif sur le revenu, ce qui n’est guère un « marqueur de gauche ». En se présentant sur une ligne plus modérée à l’élection présidentielle de 2002, elle a contribué à éparpiller les voix de gauche, ce qui a permis à Jean-Marie Le Pen de battre Lionel Jospin au premier tour. Bref, elle a régulièrement incarné une gauche plus sociétale que sociale et privé les candidats socialistes de voix qui leur eussent été utiles, ce qui risque fort de se reproduire cette fois-ci. Pour unifier, elle commence par diviser. Sous cet angle, elle fait preuve d’une grande continuité.

 

 

 

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Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages