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Une nation au bord du gouffre
À l’aune des fantasmes zemmouriens, voilà un pays qui devrait s’effondrer sous peu. Non seulement il compte dans sa population quelque 15 millions de personnes d’origine étrangère, dont une bonne part de musulmans. Mais il estime, dans une inconcevable légèreté, avoir besoin d’environ 400 000 nouveaux migrants par an pour faire tourner son économie et pallier sa démographie défaillante (en France on s’inquiète de voir ce chiffre dépasser les 200 000).
Pire encore : le nouveau gouvernement – une bande d’irresponsables… - compte assouplir sa législation sur l’immigration de manière à faciliter encore plus l’entrée de nouveaux travailleurs venus d’ailleurs. Ce pays est de toute évidence au bord de gouffre. Son identité, il faut le supposer, à écouter les lugubres prévisions si courantes en France, est en passe de se diluer dans le flux cosmopolite.
Voici donc un voisin immédiat qui ne cesse de s’affaiblir, de décliner, de voir sa place en Europe ravalée au rang des nations malades et marginales, menacé par un « grand remplacement » encore plus rapide que le nôtre. Or ce pays proche de la chute, ravagé par une invasion migratoire massive… c’est l’Allemagne.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Eh oui… Au moment où la vie politique française plonge dans l’obsession identitaire, à tel point que dans son débat interne, la droite républicaine a passé plus de 40% de son temps de télévision à parler immigration et insécurité, la nouvelle coalition SPD-Verts-Libéraux qui va prendre les rênes du gouvernement sous la direction d’un social-démocrate, prévoit dans son programme commun, longuement négocié, de renforcer l’économie allemande par l’adjonction de centaines de milliers de travailleurs immigrés qualifiés. Elle prévoit aussi de régulariser plus facilement les sans-papiers présents sur le territoire de la République fédérale dès lors qu’ils ont un travail et qu’ils sont présents depuis plusieurs années.
Et l’identité, leitmotiv de la scène française ? Les Allemands y tiennent eux aussi. Il demeure chez eux un fort sentiment patriotique ; ils ont conservé très longtemps le seul droit du sang en matière de nationalité ; leur prédominance en Europe leur inspire un sentiment de supériorité et de fierté, ils ont eux aussi un parti nationaliste à la fois minoritaire et notable, fort dans certaines régions. Mais, dans leur grande majorité, ne croient manifestement pas à une grave menace. Cette politique migratoire plus libérale, menée depuis longtemps, recueille, avec les nuances d’usage, l’assentiment de tous les partis de gouvernement, de droite et de gauche (CDU, SPD, Libéraux et Verts). Vérité au-delà du Rhin, erreur en deçà…
Pourquoi cette troublante sérénité face à la question migratoire ? Osons une hypothèse fort désagréable pour la France. Les Allemands ont gardé un fond de rationalité, un socle de lucidité : ce vieux pays à la personnalité affirmée, à la longue histoire, économiquement puissant, culturellement mélangé et ouvert, jouant un rôle clé en Europe, ne croit pas un mot des horrifiques prophéties si populaires de ce côté-ci de la frontière. Les Allemands d’aujourd’hui ont confiance dans l’Allemagne fédérale et démocratique, ils ne pensent pas que les minorités présentes sur leur sol, même si elles suscitent parfois des difficultés, conspirent secrètement à prendre le pouvoir ou à soumettre culturellement la majorité. Incroyable, non ?
On n’en déduira pas que cette politique puisse s’appliquer telle quelle en France. L’industrie allemande est forte, elle a besoin de bras, le chômage est nettement plus faible qu’en France, l’extrême-droite qui a émergé à la suite de la grande crise migratoire de 2015, a été contenue dans les urnes, la législation prévoit une répartition géographique systématique des nouveaux travailleurs, qui doivent s’installer dans des zones où les perspectives d’emploi sont meilleures. Mais enfin, voilà un exemple qu’on pourrait méditer. Au moins sortirait-on des extravagantes billevesées sur la disparition de la France, qu’on nous sert matin et soir à droite et à l’extrême-droite.