L’Union européenne a-t-elle vraiment besoin de la Pologne et de la Hongrie ? - Lettre politique #38

Laurent Joffrin | 04 Décembre 2020

« Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? » Le célébrissime exorde de Cicéron, dénonçant la conjuration de Catilina contre la République romaine, s’applique parfaitement à la crise qui oppose l’Union européenne à deux de ses membres, la Pologne et la Hongrie : jusqu’à quand abuserez-vous, Kaschinski et Orban, de notre patience ?


La lettre politique de Laurent Joffrin #38 | S'abonner


Au terme de tortueuses négociations – y en a-t-il de simples au sein de l’Union ?  – les Européens se sont mis d’accord sur un plan de relance massif destiné à pallier les effets désastreux de la crise de la Covid 19. Las ! Deux pays, qui bénéficient au premier chef  des subventions européennes, ont décidé de bloquer ce précieux plan de relance. Pour quelle raison ? Parce que l’Union, fondée sur des principes démocratiques, subordonne plus ou moins le versement des sommes prévues à la Pologne et à la Hongrie au respect de ces règles communes. Prophètes de la démocratie « illibérale », ces deux chefs nationalistes refusent de se conformer au principe de séparation des pouvoirs commun aux membres de l’Union. En Pologne, plusieurs réformes ont mis à mal le principe de l’indépendance des juges. Plusieurs voix d’opposition dénoncent la mise sous tutelle de la justice par les responsables du parti ultraconservateur qui gouverne la Pologne. Le juge Tuleya, qui résiste et proteste contre cette concentration dangereuse des pouvoirs au sein du PiS, est menacé de destitution et d’emprisonnement.  Même chose en Hongrie, où Orban, chef nationaliste du pays, fait passer la justice sous son contrôle et détient, directement ou par oligarques interposés, la grande majorité des médias du pays. Ces manquements ont été dénoncés par plusieurs rapports produits par l’UE et une procédure de sanction (destinée à suspendre les droits de l’État membre qui violeraient ces valeurs fondamentales communes) a été engagée. Sauf qu’elle est confrontée à une limite : elle ne peut être décidée qu’à l’unanimité des pays, à l’exception de celui qui fait l’objet des sanctions : dès lors qu’ils sont deux, ils s’entraident, l’un usant de son droit de veto dans la procédure applicable à l’autre. De plus, les condamnations de la Cour de Justice concernant l’indépendance des juges en Pologne et Hongrie n’ont pas porté leurs fruits à ce stade, puisque ces pays font la sourde oreille. L’inefficacité des sanctions juridiques rend nécessaire la mise en place d’un mécanisme de sanction politique.

C’est donc tout logiquement que l’Union souhaite maintenant conditionner ses aides – massives – au retour à l’État de droit démocratique dans ces deux pays. 

 Ceux-ci rétorquent que ce serait porter atteinte à la souveraineté de ces deux nations, ce qui n’est pas faux. Les deux régimes qui sévissent en Pologne et en Hongrie sont soutenus par une majorité d’électeurs, même si on peut mettre en question un système électoral où l’État central dispose de pouvoirs exorbitants. La Hongrie se distingue même par des campagnes incessantes contre George Soros, aux fortes connotations antisémites.

Il est dès lors une solution très simple à ce conflit : si la Pologne et la Hongrie refusent d’appliquer les règles qui fondent l’Union européenne, ils sont parfaitement libres d’en sortir, comme l’a fait la Grande-Bretagne. Contrairement à ce qu’affirme Viktor Orban, l’Europe n’est pas l’Union soviétique. Nulle doctrine de la « souveraineté limitée » ne s’applique à ses membres. Rien ne les oblige à faire partie d’un club dont ils récusent les fondements politiques. Ils ne sont pas contents ? Qu’ils sortent ! Sachant que dans ces conditions, rien n’oblige l’Union à leur venir en aide financièrement. Chacun sera libre. Les uns pourront poursuivre la construction de leur simili-démocratie, les autres pourront mettre en œuvre leur plan de relance sans buter sur des vetos extravagants.

On dira que c’est aller vite en besogne. Les négociations vont se poursuivre, on espère un compromis. Mais si l’Union était assez bonne pâte pour autoriser la Pologne et la Hongrie à s’affranchir de règles essentielles à la cohésion de l’ensemble, elle scierait elle-même la branche démocratique sur laquelle elle est assise.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages